Chapitre 12 : Tempête de sable

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Clac, clac, clac...

Mes dés cavalaient joyeusement dans sa main, donnant la cadence à une trotteuse sans cadran. Un mauvais pressentiment persistait dans ma poitrine. Quelque chose de terrible allait survenir, j'en étais certaine.

— Tu rêvasses, Ivy.

Mon regard papillonna avant de surprendre un point incandescent exhaler un lacet de fumée. Mon nez se retroussa. Encore et toujours à s'encombrer les poumons de miasmes délétères. Je levai la tête pour enfin dévisager mon interlocuteur découpé d'ombres.

Clac, clac, clac...

John avait toujours cet air canaille, en particulier lorsque son sourire en biais apparaissait. Il inspirait ce subtil cocktail de filouterie et de sympathie. Il n'avait jamais voulu me dire son âge. Pourtant, le temps avait creusé une carte fascinante sur sa peau, traduisant les reliefs d'une vie mouvementée, mais sans regrets.

Tous mes repères s'y trouvaient.

Mais cela allait bientôt disparaître.

— Arrête d'être aussi sentimentale, cela fait combien de temps ? Trois ans ? Cinq ans ? lâcha-t-il entre deux bouffées de nicotine. Allez, t'es plus maline que ça.

Clac, clac, clac...

Mon cœur s'emballa, les dés enchaînant plusieurs faces sur la table écornée. Nous étions dans un bar où quelques rares clients avaient réussi à traîner leur carcasse. Si mon regard tenta de s'échapper vers l'un des serveurs, je fus rapidement rappelée à l'ordre par le martèlement de deux phalanges sur le bois.

— Concentre-toi, bon sang ! Ce n'est pas comme ça que tu vas intégrer la technique.

Je secouai la tête comme pour remettre mes idées en ordre.

Cela me revenait, nous étions vendredi soir.

— Oui, excuse-moi, tu disais ?

Clac, clac, clac...

— Observe mes mains.

La curiosité me rendit aussitôt attentive à ce qui se passait sous mes yeux. Je savais déjà que je n'allais pas être déçue. John avait toujours en réserve des astuces, des subterfuges, pour flouer sa victime. Après tout, c'était avec lui que j'avais crocheté ma première serrure. Il était le maître en la matière.

Laissant reposer sa cigarette sur un cendrier, dans l'ombre de ses doigts, un des dés finit par disparaître. Le geste avait été si fluide que la supercherie s'en retrouvait indétectable. Même pour mes yeux aguerris.

Je souris, impressionnée.

— Et comment as-tu appelé cette technique cette fois ?

Parce que l'homme en face de moi était un artiste et chacune de ses créations méritait, comme toute œuvre qui se respectait, un titre. Comme il le disait si souvent, il fallait rendre à César ce qui était à César.

— Je l'appelle... La technique où le père meurt et la fille se retrouve dans la merde.

Clac, clac, clac...

Mon front se plissa d'incompréhension.

— Qu'est-ce que tu racontes encore comme connerie ?

Un poids de plus en plus lourd pesait sur tout mon être.

— Réfléchis, tu es intelligente ! Nous savons très bien pourquoi tu es coincée ici. Pour ça que t'es venue me voir, hein ? Il fallait bien que tu prouves ta valeur auprès de ton père. Je suis au courant de ses dernières volontés, avoua-t-il.

Que racontait-il ?

C'était une blague, n'est-ce pas ? J'espérais que c'était une blague, même si tout au fond, je pressentais que ça n'en était pas une. Cela allait très mal se terminer. Tout était trop sombre. Tout était trop limpide.

Puis un souffle brûla mon oreille.

— Ma fille, combien de temps pensais-tu me cacher son existence ? murmura une voix grave.

Ce fut tout mon estomac qui se rétracta alors que les ténèbres m'avalaient dans son antre le plus profond. Le regard de John s'écarquilla, son corps se tassant sous l'envergure de cette montagne d'obscurité qui se dressait désormais au-dessus de lui. Je connaissais bien cette expression, c'était celle qu'on arborait devant le titan.

Je ne voulais pas.

Mais la pression me clouait sur ma chaise pour me laisser spectatrice de l'horreur.

Clac, clac, clac...

— Non, non, s'il te plaît, père, suppliai-je.

Seulement, les mots étaient inutiles avec Cyrius Thornes, rien ne pouvait le raisonner. Il n'avait besoin que de quelques secondes. Malgré tout, je m'agitai, remuai à m'en faire mal.

John, lui, s'était figé.

— Non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON !

— Non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non non NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON NON N...

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Cette fois, j'hurlai jusqu'à vomir mes poumons, des larmes dégringolant de mes joues. Mais l'ombre finit par le toucher du doigt. Un simple contact. Et à travers ma vision embrouillée, la peau de John se contracta douloureusement. Déjà, les arcanes firent leur œuvre pour creuser de nouveaux sillons sous l'épiderme et tous les organes qu'il renfermait.

Je regardai, impuissante.

Ses orbites se retournèrent sur eux-mêmes, ses cheveux poivre et sel fuirent son crâne alors que son sourire en biais céda le pas à une rigole écarlate qui se fraya un passage entre ses lèvres jusqu'à son menton. La cigarette se consuma.

John se débattait, inconscient d'avoir déjà perdu.

Et le fracas se tut.

— À bientôt, Ivy, chuchota une masse par-dessus mon épaule.

En espérant que ce soit ta dernière visite ici !

Quelque chose cogna la pointe d'une de mes chaussures.

Clac, clac, clac...

Des Épines pour IvyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant