Chapitre 19 : L'arbre qui cache la forêt

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Dernièrement, si le ciel a tendance à me faire de l'œil pour des raisons évidentes, les responsabilités, elles, ont tôt fait de me faire redescendre sur terre. Comme cette porte que je fixe depuis de longues secondes, la clé pour l'ouvrir ancrée dans la paume de ma main. Un contact glacé qui ne promet rien de bon.

De l'autre côté, l'antre secret du géniteur avec ses mystères, ses magouilles et tout ce que peut engendrer une ambition viciée. Une véritable boîte de Pandore que j'hésite à déverrouiller. Toutefois, quelque chose me dit qu'il y a peu de chances pour qu'elle renferme un quelconque espoir.

Mais la curiosité n'est jamais loin, grattant les parois de mon crâne.

La garce.

Alors la clé s'imbrique dans la serrure.

Une demie seconde plus tard, les gonds grincent et c'est la semi-pénombre qui s'offre à moi. Sans surprise, aucune banderole de bienvenue ou portrait de famille viennent m'accueillir. Non, à la place, un lourd rideau faisant barrière au soleil, une épaisse odeur de cigare pour imprégner l'air et le silence.

Des souvenirs éclaboussent ma mémoire avant de sentir un relent de peur me prendre à la gorge. Une petite voix dans ma tête me chuchote que je ne dois pas être là.

Mais je n'ai plus six ans.

—Je n'ai plus six ans, formulé-je à voix haute.

Pourtant, je ne peux m'empêcher de tendre l'oreille comme pour m'assurer qu'il n'y a personne pour me surprendre. C'est absurde. Aussi, je me pince l'arête du nez pour me recentrer.

Le croquemitaine ne peut plus rien faire de sa tombe.

Une lampe avec abat-jour est donc mise à contribution afin d'apporter son halo de lumière. Je discerne enfin la tapisserie des murs aux motifs quelque peu désuets, l'angle d'une étagère dissimulant sûrement des livrets de compte, un globe terrestre et enfin un secrétaire en bois vernis, véritable bijou d'ébéniste.

Mon doigt glisse sur la surface lisse.

Je grimace.

De la poussière.

Rien de surprenant lorsqu'on sait que cela fait plusieurs semaines que la pièce n'a pas été visitée. Après tout, je suis désormais, l'unique détentrice du sésame. D'ailleurs, je crois n'avoir jamais vu un domestique faire le ménage ici, le géniteur était trop méfiant pour cela. Il n'y avait que sa propre personne pour être autorisé à en passer le seuil.

Et désormais, c'est mon tour.

Curieuse de découvrir ce qu'il renferme, le secrétaire est le premier meuble à attirer mon attention. À la vérité, je ne sais pas exactement à quoi m'attendre. Mais inutile de se poser plus de questions, je fais coulisser l'abattant.

Mes paupières se plissent afin de percer les ombres encore présentes.

Se dessine alors une vieille boîte à cigares. Mon regard s'en détourne pour m'intéresser aux tiroirs. Fébrile, je les ouvre un par un. Des documents, essentiellement, sont alors vite extirpés de leur écrin de bois. Il me faut alors rapprocher les feuilles sous la lampe afin de décrypter les lignes dactylographiées accompagnées de schémas, de graphiques et d'une suite interminable de chiffres.

La mention, à plusieurs reprises, de ACE Thornes Inc. suggère un lien avec l'entreprise familiale et le cours boursier.

Du charabia, en somme.

—Ivy ?

Je sursaute, ma main sur la poitrine pour retenir mon cœur de s'éjecter de sa cage thoracique. Ce n'est qu'après six palpitations affolées que je reconnais la silhouette découpée dans l'encadrement de la porte.

Des Épines pour IvyOù les histoires vivent. Découvrez maintenant