• CHAPITRE SEPT •

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Ivanovna Alyosha Sergueievitch Tourgueniev avait eu une vie des plus compliquée.
Jamais personne ne l'avait réellement aimée. De plus, son visage des plus austère et perturbant ne facilitait pas l'attachement. C'était pour cette raison qu'elle portait toujours un cache-oeil noir quand elle sortait en public.

La jeune femme était une pure misanthrope.
En grande taiseuse, elle se plaisait pourtant à observer les gens, analyser leurs mouvements, leurs mimiques, leurs tocs.

Ce jour-là, ce jour déprimant avec son ciel blanc et ses pigeons gris, elle s'était levée tôt. Ses yeux s'étaient ouverts au milieu d'un nuage hirsute de cheveux ébène. Après avoir fixé le plafond durant un moment, elle s'assit sur le bord de son lit et s'alluma une cigarette. Elle sut qu'elle allait passer une mauvaise journée.

Elle enfila une chemise blanche et une cravate bien serrée ainsi qu'une jupe longue gris foncée qui lui arrivait aux chevilles. Elle brossa comme elle put sa longue crinière, même si cette grosse tignasse gardait toujours cet aspect ébouriffé.

Iva se regarda dans le miroir, se dévisagea, gratta sa cicatrice, puis alla fouiller dans un tiroir pour en sortir un cache-oeil noir qu'elle se passa autour de la tête.

Elle sortit de chez elle, prit le métro, marcha encore un peu et entra dans le café où elle allait habituellement.
La femme derrière le comptoir la remarqua, la reconnut et sourit.

- Un late macchiato, demanda Iva.

Le "s'il-vous-plaît" resta coincé dans sa gorge tant il se mélangeait avec un "s'il-te-plaît".
Cela faisait plusieurs mois que tous, les matins, c'était la même serveuse derrière le comptoir. Et cela faisait maintenant deux semaines qu'Iva voulait l'inviter à sortir avec elle.

Mais l'inconvénient majeur qui accompagnait la misanthropie de la jeune femme russe était sa totale non-gérance des interactions avec d'autres êtres humains.

Ses doigts tapotaient nerveusement et à un rythme extrêmement régulier contre le comptoir tandis que ses yeux restaient collés malgré eux à la serveuse. Son cœur battait, ses mains étaient moites et sa gorge s'assèchait un peu plus à chaque inspiration.

- Et voilà ! chantonna la serveuse en déposant son café devant Iva.

Elle entrouvrit la bouche pour articuler un "merci" qui ne sortit pas, et finit par un hochement de tête maladroit.

En voulant sortir, elle rentra droit dans un jeune homme et rattrapa sa boisson à temps.

Et dans sa tête résonna un magnifique "oh non, pas lui".

●●●

Elle regarda longuement la voiture de son patron s'éloigner au loin. Elle compta jusqu'à 100, hésita, recompta jusqu'à 200 et rentra dans la maison.

Elle marcha dans le salon, retira ses chaussures et alla chercher quelque chose dans sa vieille besace usée. L'objet était un bafle noir et imposant qu'elle alluma, posa sur la table basse et bientôt, "Heaven Knows I'm Miserable Now" par les Smiths résonna dans toute la bâtisse.

Telle était sa façon d'évacuer son stress et son besoin lancinant d'auto-destruction. Elle gigota de manière idiote, vague, étrange au rythme de son groupe favori jusqu'à en être essoufflée.

Après avoir dépensé son énergie, Iva s'affala dans son fauteuil et s'alluma sa deuxième ou troisième cigarette de la journée qui ne serait sûrement pas la dernière en fixant le vide.

Elle repassait dans sa tête toutes les différentes approches qu'elle pourrait employer avec la serveuse pour l'inviter, dans le cas où, par chance, elle serait aussi lesbienne, ou bien bisexuelle, pansexuelle ou une autre bêtise du genre.

Au bout de longues minutes d'intense réflexion sans un seul clignement d'yeux, elle finit par se lever, se rechausser et sortir.

Après avoir failli se faire écraser par une voiture et manqué de tomber en plein passage piéton, elle parvint finalement au café où elle ne trouva pas de serveuse. Elle questionna un de ses collègues et appris donc qu'elle prenait actuellement sa pause dans l'arrière du bâtiment.

Iva alla donc la retrouver, mais en s'approchant, elle la vit en compagnie d'un autre homme.

Son frère, c'est sûrement son frère, se dit-elle.

Ce n'était pas son frère. Ils s'embrassaient. Ils étaient répugnants.

- Alors, elle était comment ta journée ? demanda le rebutant garçon à sa dégoûtante petite copine.

- Oh, normale. Juste cette cliente bizarre qui ressemble à une pirate. Je sais pas pourquoi, elle vient tous les jours alors soit elle adore notre café, soit elle en pince pour moi.

- Je crois qu'elle adore le café.

Tu me débectes. Et toi aussi. Vous me débectez tous les deux, microbes stupides.

- Ouais, ça doit être ça. N'empêche, elle est laide à faire peur, cette pauvre fille.

TU ES LAIDE, IVA, TU ES MOCHE !! TU FAIS PEUR À TOUT LE MONDE ! se souvint-elle alors tandis que ses deux grandes mains se portaient à son visage pour l'envelopper, protégeant ainsi ce faciès disgracieux de l'horreur de ce monde.

●●●

Ainsi vit-elle la voiture de Dazai se garer. Ainsi eut-elle le plaisir de le foudroyer du regard. Ainsi put-elle retrouver Nikolai.

Ainsi vit-elle se dernier s'éloigner dans le jardin quelques minutes plus tard tandis que le japonais s'en repartait, l'air vaguement penaud. Ainsi marcha-t-elle à pas lents dans l'herbe, le vent dans ses cheveux de paille sombre, les sourcils froncés.

Ainsi abaissa-t-elle le regard pour voir son employeur et ami gisant au sol en proie à de la détresse respiratoire tandis que Nikolai partait appeller une ambulance parce que son téléphone était resté dans la voiture.

Ainsi eut-elle envie de pleurer.
Ainsi s'accroupit-elle et tapota la joue de Fyodor, qui ne réagit pas.

Ainsi lui dit-elle ;

- Eh, tu pars pas, hein ?

Ainsi ne lui répondit-il pas.

Ainsi s'acheva la journée moisie d'Ivanovna Alyosha Sergueievitch Tourgueniev.






(Pas encore relu)

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L'Ange de Fer  [Fyolai]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant