• CHAPITRE ONZE •

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Il ne ressentit une forte nausée que quand il se planta devant la grande porte et que sa main se posa sur la poignée.

En entrant, il se sentit comme avalé par un monstre et sur le point de se noyer sous un flot d'acide gastrique pour être dissous en bouillie. Son cœur s'emballa, cognant contre ses côtes. Il se tourna, cherchant le regard de Nikolai à travers l'embrasure de la porte et la vitre de la voiture.

Sa tête pivota à nouveau pour faire face au hall d'accueil. Le plafond incurvé décoré de peintures d'angelots potelés et souriants ainsi que de voluptueuses colombes immaculées constituait le plus bel élément de la pièce. Personne ne pouvait s'empêcher, après avoir pénétré le bâtiment, de lever les yeux vers la sublime fresque qui respirait la légèreté et la béatitude.

Voir ainsi ces créatures baignées de bonheur et d'insouciance fit apparaitre un fugace sourire au coin de la bouche de Fyodor. Lui qui, d'après sa psychologue, était d'un égoïsme tel qu'il croyait porter le poids des tourments du monde entier sur ses frêle épaules et que seuls ses malheurs importaient, se sentit soudain comme flottant au milieu des oiseaux de paix et des chérubins, oubliant les souffrances des mortels et ne pensant qu'à s'amuser.

Mais il redescendit sur terre avec la violence d'une gifle quand une voix résonna dans le hall, jusque-là vide :

- Fyo ?

Ils ne s'étaient pas revus depuis que Fyodor avait pleuré, crié et vomit ses tripes. Un épisode qui ne lui faisait à présent ressentir qu'une abyssale honte.

- Dazai.

Et c'était tout.
Il ne savait que prononcer de plus tant sa gorge se contractait. Trois mètres, peut-être plus, les séparaient mais la distance entre eux paraissait s'étendre sur des kilomètres. La plaie rouge foncé qui striait la paume de Fyodor l'irritait à cause des bandages qui la couvrait pour favoriser sa cicatrisation. Pendant un instant, il sentit même tout son corps le démanger, comme si le contenu d'une fourmilière entière se mouvait sans cesse sous sa peau fine. Peut-être Dazai les voyait-il ? ces petites taches noires se déplacent entre ses veines et ses artères. Tandis que le russe divaguait dans son délire kafkaïen, le japonais avait avancé de quelques pas.

- Ça va ?

Le visage de Fyodor se releva d'un coup sec.

- Oui.

●●●

L'odeur des vestiaires rassura un peu Fyodor, qu'importe à quel point elle restait âcre et douceâtre à la fois, un mélange de sueur et de déodorant. Immonde.

Déambulant entre les bancs, ses bottines raclant qui lui avait tant de fois gelé les plantes de pieds, il arriva devant son casier.

DOSTIOEVSKY

Il se remémora le temps où il s'acharnait à gratter l'étiquette car ces idiots avaient fait une faute à son nom. Cela remontait à ses premières années dans cette troupe.

Il devait avoir 22 ou 23 ans, pas plus. Un jeune prodige, chaudement recommandé par le conservatoire où il avait appris la danse depuis l'enfance et où on il avait écopé du surnom de « rat ». Lors de sa première année au sein de l'équipe de l'Ange de Fer, il avait rencontré un japonais, d'à peu près son âge, au caractère bien trempé et au ton sarcastique et séducteur. Ils s'étaient rendus à une fête chez un des comédiens, pour célébrer le succès de la première représentation du ballet allemand. Les événements s'étant déroulés dans la soirée restaient flous dans son esprit, en tous cas quand il tentait de s'en souvenir. Parfois, il rêvait de ça. De quoi ? impossible de s'en rapeller. Quelque chose de marquant. Quelque chose de grave.

L'Ange de Fer  [Fyolai]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant