Au-delà du miroir

67 8 1
                                    


31 octobre 2019

Une bâtisse splendide éblouit mon champ de vision. Des individus, évidemment fortunés et magnifiquement vêtus, entrent et sortent du manoir qui semble s'étaler sur l'entièreté du parc.
- Tu entends, petite sœur, la musique classique assourdissante qui émane de cette demeure gigantesque à quelques mètres ? C'est un signal. Les Morozov donnent une soirée.
- Une soirée ?
- Oui. C'est l'anniversaire du fantôme. Chaque année, ils le célèbrent en organisant un bal masqué propice à la luxure et à l'extravagance.
- On peut y aller ? l'interrogé-je innocemment.
Il me rit alors à la figure en guise de réponse.
- Tu nous a vus, petit cygne ? Ce n'est pas parce qu'on est entourés de gens comme eux au quotidien que l'on appartient à leur monde. On fera toujours tâche parmi les nobles de la jeunesse dorée. Et même si l'on réussit un jour à s'enrichir, ce n'est pas dans notre nature. Nos codes ne sont pas les mêmes, nous n'avons pas été éduqués comme eux. Jamais nous n'arriverons à nous ajuster à ce moule.
La déception trace les lignes de mon visage, et il s'en aperçoit aussitôt.
- Je suis sûre que tu feras de grandes choses, et moi aussi, peut-être. Mais ne t'aventure pas trop près de ces gens, ils sont dangereux. Ils finiront par te tuer, ou tuer la lueur radieuse qui émane de ton être.
- Ça ne pourrait pas nous faire de mal d'aller juste jeter un coup d'œil-
Il m'interrompt violemment.
- On a l'air habillés pour l'occasion ? Regarde toi, on remarquera immédiatement que tu n'es pas à ta place.
J'essaye de ne pas être blessée par ses paroles, mais c'est compliqué.
J'ai revêtu ma plus jolie robe pour Halloween, ma fête préférée. Probablement la robe la plus chère que je possède, mais ce n'est quand même pas suffisant.
- Et puis, tu sais ce qui arrive à ceux qui s'aventurent chez les Morozov s'en y avoir été invités ?
Je secoue la tête de gauche à droite afin de lui signifier que je n'en ai aucune idée.
- Les impertinents qui osent mettre un pied chez le fantôme sans autorisation placent en même temps le second dans leur tombe. S'il ne se charge pas d'eux directement, c'est son oncle qui s'en occupera.
Mes yeux me brûlent mais je refuse de laisser les larmes couler.
C'est injuste.
Ma condition est injuste. J'ai été privée de tous ces droits, toute ma vie.
Et pourtant, je dois assister au ravissement des autres, qui jouissent de tout ce que je désire au quotidien.
- Rentrons, petit cygne.
À ces mots, j'attrape sa main et m'éloigne de mon rêve le plus inavouable, le cœur lourd et la gorge nouée.

Le Point de Non-RetourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant