Chapitre 9

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Aurore

8 septembre 2023

- Je sais que tu es là Dim, je t'ai entendu arriver. Rien ne sert de rester tapi dans l'ombre.
- Toujours aussi perspicace on dirait, Castillo. Tu ne t'es pas usée l'année passée, annonce-t-il avec une amertume palpable dans la voix, que j'ai déjà ressentie à maintes reprises depuis mon retour à travers ses accusations insinuées.
Alors que mon meilleur ami entre dans la salle de bain attenante à ma chambre, je décide d'enfin adresser clairement les non-dits qui nous tracassent, tout en peaufinant mon maquillage.
Le gala a lieu ce soir, et étant donné la presse folle qu'il va engendrer, je veux être au summum de mon potentiel.
Pour être honnête, c'est peut-être aussi partiellement pour faire saliver Liam.
La longue robe rouge Valentino, coupée au niveau de l'entrejambe, que j'ai enfilée il y a un quart d'heure met parfaitement en valeur mon teint, et la parure en diamant que m'a gentiment prêté Mila, lorsque j'ai eu la joie d'enfin la retrouver mardi dernier, est tout bonnement splendide.
- Je sais que tu m'en veux, finis-je par prononcer. N'essaye même pas de le nier.
J'entends Dimitri expirer bruyamment de résignation avant de m'offrir une réponse.
- C'est vrai. J'aurais préféré que tu me préviennes, et que tu me tiennes mieux informé de tes activités. Mais c'est seulement parce que je me fais du souci pour toi, tu le sais. Après Armand...
Il ne réussit pas à terminer sa phrase. Nous savons tous les deux pourquoi.
- Ce n'était pas ta faute, le rassuré-je en lâchant enfin mon rouge à lèvre Chanel afin d'aller tendrement déposer une main sur son avant bras.
- Si, ça l'est - commence-t-il avant que je ne l'interrompe.
- Non, Dimitri. Non seulement tu ne pouvais pas savoir ce qui allait se passer, mais en plus, je suis une adulte consentante, dis-je avec conviction. Tu ne m'as en aucun cas forcée à faire quoi que ce soit. Je voulais t'aider à coincer ce salop, et ça s'est mal terminé. Je connaissais les risques avant de me lancer.
- Aurore...réussit-il à peine à chuchoter, tout en m'implorant du regard.
Mais m'implorant de quoi ?
De le pardonner ? C'est déjà fait.
De ne plus jamais me remettre en position de danger ? Trop tard.
D'apprendre à guérir ? Ça viendra avec le temps.
Je l'espère.
J'ai besoin de vivre dans un monde où cette version de mon passé n'existe pas.
Je pense pouvoir compter sur les doigts de ma main le nombre de fois où Dimitri m'a appelée par mon prénom.
Le voir à ce point vulnérable me frappe de plein fouet. Lui qui est pourtant d'habitude si froid et détaché - du moins en apparence.
Cet homme beau, fort et valeureux qui ne recule devant rien.
Cet homme qui a déjà tant souffert par le passé, et porte sur ses épaules trop de culpabilité pour que mes traumatismes ne viennent s'y ajouter.

- Dim, regarde-moi s'il te plaît, lui intimé-je, voyant ses yeux quitter les miens pour se poser sur le sol en raison de sa honte évidente.
- Tu devrais me haïr, me communique-t-il dans un soupir. Tu devrais me haïr pour le prix que tu as payé par ma faute.
Et je sais que chacun des mots qu'il vient de prononcer lui ont tranché le cœur tout autant qu'ils ont cisaillé le mien.
- Pourtant je t'aime, lui affirmé-je, ma voix vacillant à l'image de mes émotions. Je t'aime comme un frère, et jamais cet amour ne s'estompera, essayé-je de lui faire comprendre. Je te l'ai déjà dit. C'était mon choix, et mon choix uniquement. Pas un mot à Liam. Ça reste ma seule et unique condition. C'était notre accord, et aussi longtemps que tu le respecteras, tu n'auras rien à te reprocher.
Il opine du chef à ma requête.
- Mais tu sais bien que le problème est plus profond, continue-t-il.
Je sais.
Je l'ai appris ce soir-là.
- Je refuse que tu t'en veuilles. La seule personne qui doit s'en vouloir payera bientôt pour ses crimes.
Ma dernière phrase a le don de lui redonner de l'assurance.
- Tu lui as déjà laissé un joli souvenir, se rappelle-t-il, un rictus taquin au bord des lèvres.
J'en suis fière, en effet. À cause de moi - ou plutôt grâce, en fonction du point de vue - Armand est incapable de porter autre chose que des manches longues, même sous une chaleur intolérable.
Dimitri vit pour se venger. C'est un instinct qu'il a tristement dû acquérir dès ses neuf ans. Aujourd'hui, personne ne peut plus se frotter au fantôme sans en payer le prix fort. Et je sais que le prix le plus élevé est réservé à ceux qui blessent ses proches.
Pour lui, la famille prime sur tout. Pas nécessairement celle émergeant des liens de sang - il souhaiterait assassiner son père, même si c'est une autre histoire - mais la famille qu'il s'est créée.
Mila et lui ne sont même pas frère et sœur au sens strict du terme, mais puisque la mère de cette dernière a épousé l'oncle de Dim avant même que ces deux-là ne se mettent à marcher, ça n'a aucune importance.
- En parlant de ça, accepte-t-il le changement de sujet. Notre plan est enfin en train de prendre forme.
Lors de nos conversations téléphoniques occasionnelles l'année dernière, Dim m'avait mentionné certaines de ses idées, dont l'engrenage avait parfois été enclenché bien avant mes désastreuses aventures.
- J'ai entendu dire que ta première rencontre avec blondinet Sánchez avait été pour le moins épineuse, continue-t-il.
- Quel rapport ? demandé-je confuse.
- Thomas est la pièce centrale de notre puzzle.
- Attends ne me dis pas -
- Et si. Il s'agit bel et bien du complice inconnu dont je t'ai parlé à plusieurs reprises. Je ne pouvais pas trop en ébruiter au téléphone, sachant qu'Adrian aurait suffisamment de contacts pour me mettre sur écoute, mais Thomas est parfait. C'est lui qu'il nous manquait.
Un rire nerveux s'échappe de ma bouche.
- Lui ? Tu ne peux pas être sérieux. Tu m'as dit qu'il avait tué un homme. Qui plus est, il paraît instable.
- Je ne t'ai pas dit pourquoi il l'avait tué. Tu devrais savoir mieux que quiconque à quel point les apparences peuvent être trompeuses, rétorque-t-il. Et pour ce qui est de son aspect instable, c'est justement ce qui est parfait pour nous.
- Je suis complètement perdue.
- Dis moi, Castillo, m'interroge-t-il. Quelle est la carte la plus forte d'un paquet ?
- C'est l'as, réponds-je instantanément, certaine de mon affirmation.
C'est alors qu'il fait racler sa langue entre ses dents afin de me signifier son désaccord.
- Faux. C'est le joker, me contredit-il.
- Mais personne ne joue jamais avec le joker ! m'indigné-je.
- Maintenant, nous si.
Remarquant mon état de confusion, il élabore verbalement ses pensées.
- Thomas est le fils d'Adrian, le cousin d'Armand. Il a accès à tous leurs secrets, si peu protégés à son égard, puisque personne ne le croit capable de trahir un Sánchez. Ils l'imaginent trop faible, trop loyal, trop stupide pour le penser capable d'une telle chose. Lorsque j'ai placé Anaïs sous mon aile, ils ont immédiatement pris peur, la sachant dotée de puissantes capacités analytiques et d'un dédain profond pour la famille qui ne lui a jamais rien apporté, certainement pas de l'amour. Mais Thomas, lui, au contraire, jamais personne ne le verra venir. C'est notre jackpot. Personne, et particulièrement pas Adrian, n'imaginera qu'il s'est rangé de notre côté. Il pense que Thomas lui est reconnaissant pour son tour de passe passe avec la presse. Il est loin de se douter que ce dernier connaît en réalité toute la vérité, et me doit sa vie. Thomas est notre wild card, notre joker.
J'essaye tant bien que mal de digérer le flot d'informations qu'il vient de me jeter à la figure.
- Comment fait-on tomber un homme qui a la justice de son côté ? poursuit-il.
- On met la justice de notre côté, compris-je enfin. Donc il est avec nous ? vérifié-je.
- À cent pour cent, m'affirme-t-il.
- Et est-ce que...Est-ce que c'est un homme bien ? demandé-je soudain, cette fois-ci dans l'optique de protéger ma petite sœur.
- Je ne pense pas qu'il existe qui que ce soit de strictement « bon ». Mais je sais qu'il est trop bon pour sa survie. Et surtout, bien trop bon pour sa famille, m'assure-t-il.
En d'autres termes : Ce n'est pas Armand.
- Et comment va-t-on faire pour nous entretenir avec lui ? J'imagine qu'on devra se cacher la plupart du temps pour ne pas éveiller les soupçons, malgré ce que tu m'as dit.
- Oui, et c'est d'ailleurs pourquoi nous ne pourrons que peu l'approcher ce soir. Mais j'ai trouvé une solution temporaire à ce problème. Thomas, toi et moi nous trouvons dans la même équipe pour le MUN de novembre.
Voilà qui règle cela.
- Un trio de choc, ironisé-je.
- Laisse-lui une chance, m'implore-t-il.
- J'essayerai, promets-je à moitié convaincue.

Le Point de Non-RetourOù les histoires vivent. Découvrez maintenant