Le Point de Non-Retour

Chapitre 14

Liam

16 septembre 2023

Un désastre.
Je ne sais pas si ce nom commun qualifie mieux le gala de la semaine dernière, la gueule de bois d'une violence inouïe que je me suis tapée le lendemain, ou encore l'entièreté de mon existence, mais une chose est sûre et certaine, c'est un putain de désastre !
D'habitude, Dimitri a toujours, et je dis bien toujours, raison quant à l'analyse des secrets d'autrui.
Comment a-t-il pu se tromper à ce point-là ?
Me donner de faux espoirs en me faisant croire qu'Aurore avait encore des sentiments pour moi, ce serait tout bonnement cruel.
Et je sais que Dim est capable de cruauté - il n'y a qu'à demander à Xia - mais j'aurais du mal à comprendre ses intentions dans cette situation. Je suis son meilleur ami, après tout.
À moins qu'il ne se soit en réalité pas trompé...
Si, il s'est définitivement trompé.
Ne sois pas con, Liam. Elle ne t'aime plus.
Sinon, elle ne se serait pas enfuie en courant quand tu lui as avoué, comme un con, ton amour débordant.
Quel idiot !

Dire qu'on avait fait du chemin.
Dire qu'après cette soirée, on aurait pu redevenir amis et retrouver un semblant de normalité.
Si l'on remet annuellement le prix du meilleur abruti, je réclame le titre !
Comment suis-je censé lui proposer de collaborer sur l'enquête du meurtre de Gina, maintenant ?
Est-ce que ça a même une importance quelconque, puisque je suis assuré que mes sentiments ne sont pas réciproques ?
J'ai mal à la tête.
J'aurais pu me satisfaire du drapeau blanc qu'elle me tendait explicitement alors que nous parlions de tout et de rien. J'aurais pu apprécier la nouvelle amitié qu'elle acceptait de m'offrir.
Mais non, je n'en n'ai fait qu'à ma tête.
Et ce qui était si facilement acquis va prendre des lustres à être regagné.
Après la confession que je lui ai balancée au visage, ça ne m'étonnerait pas qu'elle ait pris peur et ne souhaite plus du tout me parler hors du champ de vision des paparazzi.
Et pourtant, je ne peux m'empêcher de penser à cette distance entre nous qui est tout sauf naturelle, d'être persuadé que son refus de m'approcher est forcé.
Dire que nous étions tout l'un pour l'autre.
Je ferme les yeux et je la revois, je nous revois, devant ce puit il y a dix ans, à formuler des promesses que, naïfs, nous ne savions pas que nous ne pourrions tenir.
« Jamais l'un sans l'autre. »
Toutefois, tu te portes très bien sans moi.

Je traverse actuellement le couloir principal aux teintes rouge de notre appartement familial à pas de loups dans l'espoir de surprendre Isaac.
C'est son anniversaire, aujourd'hui.
Il a prévu de passer la journée avec Dimitri et de le fêter ce soir au Black Out, mais je ne vais pas renoncer à la tradition du matin qu'il trouve à chaque fois si déplaisante.
Tous les ans, le jour de son anniversaire, je vais le réveiller en l'effrayant le plus possible.
Certes, c'est gamin, mais c'est une tradition qui a été créée quand nous étions encore des gamins donc...
Pas qu'il n'en soit plus un aujourd'hui, d'ailleurs.
Arrivé au pas de sa porte, je découvre avec déception mon meilleur ami qui, semblerait-il, m'a devancé.
- Tu as gâché mon prank, me plains-je tel un bambin.
- Je dirais plutôt qu'il m'a sauvé, rectifie mon intolérable petit frère, ses yeux bleus me fixant afin de me taquiner volontairement.
Je décide de sauter sur l'occasion et de profiter de la présence de Dim pour le concerter. Je ne l'ai pas vraiment vu de la semaine - Aurore non plus, heureusement - puisqu'il était en voyage d'affaires.
- Joyeux anniversaire crétin. Je peux t'emprunter ton copain une minute ?
- Il est tout à toi. Je dois aller prendre un café ou dix de toute façon, explique Isaac tout en s'éclipsant sans manquer de marmonner quelques insultes dans sa barbe sur le chemin.

Une fois ce dernier sorti de la pièce, je cours presque rejoindre Dimitri.
- Tu es déjà au courant, j'imagine, me hâté-je, faisant référence à la version des faits qu'Aurore lui a très certainement rapportée.
- Tu imagines bien, me répond-il alors. Sérieusement Montgomery, qu'est-ce qui t'est passé par la tête ? Une déclaration d'amour alors que vous veniez tout juste de ré instaurer des rapports cordiaux ?
- Je sais, je sais, répété-je en secouant la tête désespérément. J'étais complètement bourré. Je n'aurais pas dû boire autant mais être à ses côtés me mettait dans tous mes états. Au moins, grâce à ma déclaration malvenue, on est fixés sur ce qu'elle éprouve pour moi : rien du tout.
- Montgomery, commence-t-il en appuyant sur chaque syllabe comme s'il s'adressait à un enfant. Je t'aime, je te le jure, mais je ne sais plus quoi faire de toi.
- Pardon ?
- À partir de maintenant, pitié, arrête de te poser des questions et tiens-toi au plan. Fais-moi confiance et n'agis surtout pas sans m'avoir concerté au préalable, c'est compris ?
J'hoche la tête pour seule réponse. C'est le seul de mes amis à m'infantiliser aussi ouvertement, mais c'est également mon meilleur ami, donc j'imagine qu'il a un passe-droit.
- Merci d'avoir complètement gâché la mise en scène qu'on avait préparée avec les autres d'ailleurs, andouille.
Je ne suis pas certain de bien comprendre.
- Quoi ? m'enquiers-je.
- La dispute avec Charlie, m'avoue-t-il. C'était entièrement joué de A à Z. On avait prévu le coup pour qu'Aurore et toi vous retrouviez seuls.
Moi qui pensais que son éclat de colère avait à voir avec Armand, j'avais complètement tort.
Maintenant que j'y pense, tout ceci est réellement parti de rien, et Charlie étant acteur, j'aurais dû m'en douter.
- Tu sais, reprend-il, pour un génie des maths, tu manques cruellement d'intelligence dans d'autres domaines. Et je te dis ça parce que je tiens à toi. Tu peux être brillant, mais bon sang, en ce moment t'es pas plus utile qu'un sextoy pendant une kermesse.
Je n'ai plus la force d'être outré, aussi j'acquiesce et quitte la pièce afin d'aller me rendormir au moins trois bonnes heures.