D'arbres et de fruits

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Il était une fois deux grosses pêches dans les branchages de leur mère. Que l'on ne se méprenne pas, ces deux amies étaient, plus que tout autre fruit que retenait encore l'étreinte de leur mère, bombées de jus. Mais plus encore, elles étaient jumelles, et pour cause : elles se partageaient le même bourgeon. Aujourd'hui, elles se disputaient le droit d'aînesse car était venue le jour du grand envol, celui qui les emmènerait fouler les hautes herbes du sol.

« Préparez-vous à retourner à la terre, mes filles, disait leur mère, car le jour du grand départ est arrivé. Vous êtes devenues lourdes, et mes bras ne sauront davantage vous retenir. Soyez fécondes et multipliez-vous car tel est notre commandement.

— Mère, l'interrompit la première, votre grandeur est telle qu'elle ne puisse être comparée à aucun de nos aînés. Avant de nous séparer, je vous en prie, livrez-nous le secret de votre flamboyance.

— Hélas, je ne tire ma magnificence que du sol qui m'a recueilli. Il n'est d'autre secret que de s'implanter dans la bonne terre. Je vous le souhaite de tout mon cœur ! Et maintenant : partez ! »

Ni une, ni deux, voilà nos deux amies tombées au sol. Non loin de sa mère pour la première, un peu plus loin en bas du talus pour la seconde.

La première atterrit sur le sol longtemps couvé des pieds de sa mère. Et lorsqu'elle s'écrasa, survinrent effusions de sang. Le précieux nectar se déversa allégrement, et l'air s'emplit de ses plus vives senteurs.

Les guêpes ne tardèrent pas à venir la chatouiller : « Hi hi ! » riait-elle, mais l'une d'entre elle finit par enfoncer son dard « Ouille, s'exclama-t-elle. Partez, vilaines créatures ! » Et notre jeune amie se retrouva seule.

À leur place, s'invitèrent les vers qui vinrent lui perforer le ventre de toute part l'obligeant à régurgiter le peu de chair qui lui restait encore. Lorsque les insectes l'eurent complètement dénudée, le soleil finit par l'assécher.

Il ne resta d'elle que son ossature. S'en fut fini pour la première sœur, et la terre reprit son dû. Elle avait été poussière et retourna à la poussière.

La seconde roula jusqu'en bas du tertre. Sa course s'acheva à l'ombre d'un chêne, coincée entre les branchages d'un buisson. Le temps passant, elle brunit sans pour autant perdre ses couleurs. Et si les fourmis ne manquèrent pas de venir la ronger, les oiseaux l'en débarrassaient pour s'en nourrir.

Elle finit par prendre racine dans la terre. Une première pousse s'éleva, et un fier branchage se déploya. Mais les taillis finirent par l'oppresser, et à mesure qu'elle grandissait, elle dépérissait tout autant. La terre la rappela à elle, et elle finit par disparaître.

On entendit alors les bruissements de l'arbre-mère qui pleurait la mort de ses deux protégées :

« Quel malheur que de voir partir ses deux enfants ! Une mère ne devrait jamais avoir à pleurer la mort de ses filles ! Aucune d'elles ne s'est élevée à moi, et pourtant je crois que la seconde s'en est allée avec d'autant plus de grâce que la première. Si nul ne peut échapper à la mort, chacun peut l'accueillir à sa manière, et rendre sa fin plus glorieuse. »

À ces mots, le jardinier survint, et la faux s'abattit sur la matriarche.

Vous aussi, amis lecteurs, choisissez votre terre. Si nul ne peut échapper à la mort, certains succombent avec d'autant plus de grâce que les autres. Pour ma part, je préfère partir les ailes déployées plutôt qu'enfouir ma carcasse sous la terre.

Histoires de mon enfanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant