Maître Pierrot

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J'ai souvenir d'un monarque à la charge du royaume le plus pauvre qui n'ait jamais existé. Les habitants de cette contrée s'efforçaient de vivre au sang et à la sueur. La misère y était si grande que je ne me rappelle pas avoir aperçu quiconque exhiber le moindre sou dans les enseignes de la ville. Je m'étais effectivement installé au centre du pays, non loin de la résidence seigneuriale. Que l'on ne me demande pas de dresser le portrait du souverain car — je vous l'ai déjà dit — je n'ai jamais entrevu la moindre monnaie à son effigie.

De toute manière, je n'en ai guère eu l'occasion. L'économie de ce royaume était uniquement fondée sur l'extraction de minerais. Les pierres étaient revendues aux bâtisseurs des contrées voisines, et cela suffisait à faire subsister le royaume. La vie des habitants était certes dure, mais c'était une activité pérenne car le royaume regorgeait de multiples gisements.

Toutefois, les habitants devaient subvenir à leurs besoins par eux-même. Il eût été impensable d'ouvrir une boutique dans la ville compte tenu du ravage que cela causait. Cela ne servait qu'à faire prospérer les activités des voleurs ou de tout autre causeur de troubles. Un marché de jour avait néanmoins été mis en place une fois par semaine mais aucun habitant ne parvenait à s'y consacrer tant et si bien qu'il n'eût bientôt plus aucun vendeur sur la place du marché.

Vous l'avez compris, l'on ne pouvait croiser le pas que de mineurs dans cette cité. Toutes les affaires reposaient sur leur métier, plus particulièrement sur l'acquisition des terrains en bordure de la résidence seigneuriale. L'un d'entre eux y avait un jour déniché un joyau.

Cette trouvaille avait rapidement redonné espoir aux habitants de cette contrée en perdition. Aussi, le souverain de l'époque l'avait affiché sur sa modeste couronne.

L'on s'était aussitôt empressé de creuser plus en profondeur dans cette galerie, ainsi que dans celles qui l'avoisinaient. On y trouva rapidement d'autres richesses, et ces terrains acquirent une grande valeur. L'activité des mineurs ne se concentra désormais plus que sur l'extraction des joyaux.

Un seul d'entre eux s'intéressa encore au calcaire. C'était maître Pierrot, et parce qu'il était plus pauvre que pauvre, il n'avait pu décrocher la moindre parcelle en bordure du château. Toutes s'étaient vendues aux enchères mais — rappelons-le — tous étaient pauvres. Les ventes s'étaient finalement soldées à hauteur d'un ou deux sous, mais c'était encore trop pour maître Pierrot. Il s'était replié sur les terrains abandonnés des autres pour poursuivre ses activités minières.

Longtemps durant, le royaume acquit une économie florissante. Le souverain eût bientôt assez d'argent pour attirer les vendeurs des contrées voisines, et rétablir le marché au grand plaisir des citadins qui menaient désormais une vie moins dure. Jamais Pierrot n'eût à se plaindre de sa situation. Il gagnait suffisamment pour subvenir à ses besoins et, même si les autres s'enrichissaient plus grandement, cela lui demeurait indifférent car il menait une vie convenable.

Les mineurs se mirent à creuser davantage au pied du château et, telle une fourmilière, ils trouèrent le sol de multiples galeries. Ils finirent par perforer les fondations du bâtiment qui s'écroula sur eux.

Une grande misère s'abattit de nouveau sur le royaume car l'on dut suspendre les activités minières aux endroits où le sol n'était désormais plus exploitable. Les mineurs retournèrent au calcaire mais Pierrot en détenait le monopôle. Ils durent retourner à leur condition première, et travailler dur pour survivre.

Pour reconstruire sa bâtisse, le roi fit appel aux services de Pierrot qui devint l'homme le plus puissant de la cité. La ville retomba dans la misère mais maître Pierrot en avait fait son affaire. À compter de ce jour, on l'appela par son vrai nom, et il devint maître Pierre.

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