Chapitre quatre

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À peine fus-je entrée dans la maison qu’une vague de flash-back m’emporta. Ce salon, où trône la fameuse table-basse, sur laquelle Félix et moi passions des après-midis à faire nos devoirs ; cette cuisine qui en a vu des pâtisseries ainsi que des plats tous plus ratés les uns que les autres ; ce bar où nous avions l’habitude d’observer Adeline en train de préparer le dîner (cette femme est un vrai cordon-bleu), Félix et moi prenions exemple sur elle, en espérant, un jour peut-être, pouvoir cuisiner quelque chose de comestible.
Je soupirais de nostalgie. Mais malgré moi, je souriais. Cette maison, c’est avec elle - avec eux - que j’avais passé la plus grande partie de mon enfance. C’est avec eux, que je me sens en sécurité, que je me sens bien. Prête à affronter n’importe qui et n’importe quoi.

Je parcourais toujours la pièce de vie des yeux, lorsque tout à coup, mon regard resta fixé sur l’escalier. Il était là. Il m’observait. M’avait-il seulement reconnue ?
Probablement, car ses iris détaillaient chaque millimètres de ma silhouette. Quels sentiments pouvait-il bien dissimuler sous ce regard inquisiteur ? Éprouvait-il toujours un désir de vengeance irréfutable ? Partageait-il le même avis que moi afin d’entamer une nouvelle ère, de recommencer à zéro ?
J’aurais aimé être la première à parvenir à engager la conversation, de lui dire à quel point je me sentais coupable, à quel point lui aussi m’avait manqué, mais surtout le fond de ma pensée. Je pris une grande inspiration, m’apprêtant à crever l’abcès mais trop tard, il me devança et me coupa dans mon élan :

- Bonjour Nadia, ça fait un bail.

J’esquissais un sourire - le sourire le plus sincère que j’ai pu faire depuis au moins ces dernières vingt-quatre heures - et lui adressa avec une pointe de culpabilité dans la voix :

- Salut Félix... ouais, ça fait un bail.

S’ensuivit un blanc interminable (tout ce que j’avais voulu éviter), dans lequel l’un comme l’autre nous ne savions pas par où commencer. Pas où commencer ? Nous ne pourrions pas éternellement faire comme si rien ne s’était passé. Comme si aucun cœur n’avait été brisé.
Je passais une main sur ma nuque, un peu gênée de débarquer à l’improvisée chez mon ancienne famille de cœur. Je jetais furtivement un coup-d’œil vers la porte d’entrée, espérant qu’Adeline vienne à ma rescousse - à notre rescousse ?

J’entendis soudain de l’agitation dans l’escalier, et fixa à nouveau mon attention sur Félix. Il descendit les marches qui le séparait de moi quatre à quatre et durant une infime poignée de secondes, j’eus la sensation qu’il allait venir m’enlacer.
Ce désir s’évapora aussi vite qu’il était apparu lorsqu’il me contourna pour se diriger vers la cuisine. Qu’est ce que tu croyais Nadia ? Arrête de te berner d’illusions, il t’a oublié tu entends ? Il a tourné la page. Tout ça, c’est de l’histoire ancienne.
Je ravalais mes sanglots et le suivis timidement jusqu’à la cuisine. Il contourna le comptoir et ouvrit le frigo ne me prêtant aucune attention. Il se figea tout de même devant, ouvrit la bouche puis la referma, ne sachant que dire. Il se décida enfin à prendre une boisson dans le frigo - une limonade - et au moment où je crus qu’il allait le refermer, il en sortit une deuxième et une cascade de frissons s’écoula le long de ma colonne vertébrale. Un Capri-Sun. La deuxième boisson qu’il avait sortit était un Capri-Sun. Ma boisson préférée. Alors ainsi, il avait retenu ce léger détail tout ce temps ? Un espoir naquit en moi : était-ce la seule chose dont il se rappelait me concernant ? Non, c’était improbable, ce Capri-Sun se trouvait sûrement là par hasard, il ne m’était pas destiné. C’était tout bonnement IM-PO-SSI-BLE.
Il reporta enfin son attention sur moi, et fit glisser le Capri-Sun vers moi. Je l’attrapais de justesse, émergeant à peine de mon mutisme. Ce malaise touchant bientôt à sa fin dès qu’il m’adressa un sourire complice en me disant :

- Il me semble que c’était ta boisson préférée... j’en ai toujours dans le frigo depuis ce funeste jour. Juste... juste au cas où tu déciderais de revenir sans prévenir. Comme c’est le cas aujourd’hui.  J’espère que, que c’est toujours le cas... que tu aimes toujours autant le Capri-Sun.

Cette révélation me faisait l’effet d’une bonne douche chaude après une journée dans le froid de la montagne. Je ne pus m’empêcher de cacher ma joie et lui répondis du plus beau des sourire, les larmes menaçant de couler à tout bout de champs :

- Oui, tu as visé juste. C’est toujours le cas.

Il expira tout l’air qu’il avait contenu jusqu’à maintenant dans ses poumons, visiblement soulagé. Il se redressa, posa une main sur le comptoir afin d’appuyer tout son poids sur celui-ci en bois, de la cuisine. Il avait toujours adopté cette posture décontractée depuis que je le connaissais. Tout à l’heure, il avait beau ne pas me calculer, là je pouvais être certaine que toute son attention était fixée sur moi.

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