Chapitre six

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Depuis qu'ils ont accepté de me loger pour la nuit, Adeline est au petit soin avec moi. Leur maison étant petite, Félix m'a proposé de dormir dans sa chambre - heureusement pas dans le même lit - me voici donc immobile, comme un poteau central au milieu de la pièce. Je n'ose point bouger par peur d'une quelconque bêtise non-désirée. Adeline et Félix le savent très bien : je suis très très très maladroite. J'attendais patiemment le retour de Félix afin qu'il me donne l'autorisation de bouger librement dans sa pièce qui a en effet beaucoup changé depuis la dernière fois que je suis venue. Mais qui dit ne pas bouger, ne veut pas dire ne pas regarder. C'est donc pour cette raison précise que j'observais tout ce petit espace - son espace - de fond en comble. De la moindre petite poussière à la disposition des coussins sur son lit. Je remarquais qu'il ne possédait plus les petites étoiles fluorescentes collées sur le plafond (que nous avions d'ailleurs accroché ensemble) ; je supposais aussi qu'il devenait un peu plus rigoureux concernant ses cours car, j'aperçus des tas de bouquins qu'il aurait qualifié avant de, je cite : « bouquins pour les têtes ».

Je tournais ma tête de l'autre côté de la chambre après avoir fini ma première inspection, je m'apprêtais à regarder si la cible de sa porte de chambre était toujours là, quand tout à coup... Oh... Mon regard fût attiré par le petit objet qui était posé sur sa table de chevet. Un polaroid. Et sur le mur derrière lui, des tas et des tas de clichés en noir et blanc. Des clichés me semblerait-il pris sur le moment. Comme si ils étaient tous éphémères. Je me rapprochais curieuse, comme envoûtée par leur beauté. Qui avait bien pu prendre ces clichés ? Sûrement pas Félix, il m'en aurait parlé sinon, lorsque nous nous fréquentions encore...

Un bruit du côté de la porte me fît sursauter, instinctivement je me retournais, honteuse d'être prise sur le fait. Félix se tenait dans l'encadrement de la porte, son épaule posée contre le mur, une mine fière fixée sur ses lèvres. Le menton levé il paraissait me regarder de haut comme si un père venait de prendre sa fille en flagrant délit la main dans le bocal à bonbons.

- C'est moi ou tu matais mes photos là ?

- C'est toi qui les a prises ?

Il acquiesçait silencieusement, signe que je venais de viser juste. Pourtant, une pensée me taraudait l'esprit. Il ne m'en avait jamais parlé de cette vocation pour la photographie. La gardait-il secrète ou était-elle apparue bien après notre séparation ? Je ne pouvais garder ça pour moi plus longtemps :

- Tu.. tu t'es mis à la photographie récemment ?

Il prit une grande inspiration et se gratta l'arrière de la tête. Il avait l'air confus. J'eus soudainement l'impression de m'être immiscée involontairement dans un jardin secret. Son jardin secret. Un genre de « safe-place » dont il n'avait jamais révélé l'existence à quiconque. Petit à petit, un malaise s'installa (de nouveau) et la culpabilité faisait rage dans ma tête. Et voilà, maintenant que j'avais engagé la conversation sur un sujet un peu trop « intime » il se braquait. Je fus tout de même étonnée quand il ouvra la bouche et qu'il murmura sur un ton calme et posé sans une once de colère :

- En fait... depuis les mois qui suivirent ce fameux soir où tout a basculé, ma vie s'est résumé à rester cloîtré dans ma chambre, seul, ne voulant parler à personne, même pas à ma mère. Les seuls brins de discussions que nous entamions avec ma mère étaient dans l'unique but de savoir si je souhaitais manger ou non. J'ai eu une forte perte d'appétit. J'ai d'ailleurs perdu 9 kilos en cinq mois. Quand maman a su cela, elle n'a pas pu continuer à prendre sur elle. Elle est rentrée dans ma chambre, furieuse, et elle m'a dit mots pour mots : « Félix, ça ne peut plus durer comme ça. Regarde toi, tu es maigre comme un clou. Ca fait des jours que je ne te vois plus, que l'on ne communique plus. C'est à se demander si j'ai encore un fils à l'heure qu'il est. Alors oui je sais, c'est une période difficile. Je ne m'attends pas à ce que tu te relèves automatiquement et que tu t'en remettes aussi facilement. Mais ça fait déjà cinq mois Félix, CINQ MOIS ! Cinq putain de mois pendant lesquels j'ai essayé par tous les moyens de te faire prendre l'air. Et ça a lamentablement échoué. Alors à partir de maintenant je ne te laisse plus le choix. Soit tu te trouves un passe-temps qui te permettra, qui sait, de remonter la pente, soit je t'envois à l'armée pour que tu apprennes à te responsabiliser ».

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