Chapitre 16 : Angleterre, 1942

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Lorsque ce conflit se clôturerait, du moins s'il se terminait un jour, serions-nous vus comme des héros ou comme des monstres ?

La Grue disait que je rêvais d'être un héros mais que j'en n'avais nullement l'étoffe. Pour moi, il se trompait. Ce n'était pas ça, ce que je voulais... Mais le fait qu'une part de vérité ne subsiste dans ses propos me tourmentait.

Depuis toujours, je voyais les choses en grand. J'avais de l'ambition pour moi, pour mes proches... Mais est-ce que nous n'étions pas allés trop loin ?

Si je me voyais plus forte et plus réfléchie que je ne l'étais... Si je me trompais, tout simplement.

Dans ce conflit mondial, j'avais causé des milliers de morts et de blessés en quelques semaines... Par ma faute, l'URSS avait été attaqué en traître par le Régime, tout comme les Etats-Unis. Mes choix avaient scellé le destin de tellement de vies que jamais je ne connaîtrais tous les noms des personnes que j'avais impacté.

Cette pensée me noua l'estomac, me faisant régurgiter une nouvelle fois tout ce que je venais d'avaler péniblement.

— Edel... souffla Justus d'un air las.

Depuis mon retour, il n'avait pas quitté mon chevet. En venant me récupérer à l'aéroport, je l'avais découvert fier et heureux comme jamais je ne l'avais vue. Il accueillait avec joie l'entrée des Etats-Unis dans ce conflit, là où j'étais bien plus timorée.

— Je n'y arrive pas... lui répondis-je désolée.

— Ce n'est rien... ça finira par passer... m'encouragea-t-il en me serrant dans ses bras.

J'ignorais depuis combien de temps j'étais rentrée. Je ne me souvenais que de mon sentiment de culpabilité qui m'empêchait de m'alimenter. La fatigue m'accablait de plus en plus chaque jour, m'affaiblissant sur tous les niveaux. Dans notre chambre à Bletchey Park, aucun miroir n'était accroché, ce qui me permettait de minimiser la gravité de mon état dans mon esprit. Si je ne me voyais pas, je pouvais toujours prétendre que tout allait bien.

Je pouvais rester dans le déni, me mentir à moi-même.

— Joan et Alain te passent le bonjour, changea-t-il de sujet.

— Tu leur passeras le mien, lui souriais-je en retour. Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?

Joan et Alain étaient venus me féliciter en même temps que le Bec-croisé pour la réussite de ma mission mais ils n'étaient pas restés longtemps. Mon état avait dû les inquiéter et le poids de ma culpabilité les inquiéter. Personne n'aimerait subir cette lutte intérieure entre cœur et raison.

— Nous nous focalisons sur le décodage des missives quotidiennes pour le moment. Avec la multiplication des conflits, il y a beaucoup plus d'échanges. Nous devons nous renseigner et étudier chaque possibilité et chaque situation au cas par cas pour savoir ce que nous transmettons comme information et à qui, m'expliqua Justus ravi de me faire parler.

— Ce que vous transmettez comme information ? Vous ne donnez pas toutes les informations que vous avez ? lui demandais-je des précisions en espérant avoir mal compris ce qu'il venait de m'annoncer.

— Bien sûr que non, Edel. Les Allemands ne doivent pas savoir que nous pouvons décoder leur message. S'ils l'apprennent, ils changeront de code et nous devrons tout recommencer à zéro, m'expliqua-t-il avec une sérénité qui me glaça le sang.

— Comment peux-tu faire ça Justus... Comment peux-tu choisir à qui donner des informations vitales ?! Pour qui te prends-tu, un dieu ?! Nous devons les aider... Nous devions sauver l'Humanité ! rugis-je de rage, les yeux pleins de larmes.

Résistante en 3039 (Terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant