12 I La boîte de Pandore

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Jordan prit une profonde inspiration, le cœur alourdi par l'appréhension, avant de s'asseoir en face d'Iris. L'un dans un fauteuil, l'autre sur le canapé, la scène dégageait quelque chose de presque solennel - comme si le moment exigeait un silence religieux. Mais ça, Bardella refusait de se l'avouer, car reconnaître la gravité de la situation, c'était admettre l'insoutenable : Gabriel pourrait mourir.

Ses mains étaient crispées autour d'un épais dossier - le fameux dossier. Depuis de longues minutes, il s'y accrochait comme à une bouée, espérant y puiser un courage suffisant pour affronter ce qui les attendait, là dehors.

S'il avait pu repousser ad vitam æternam le moment fatidique, Jordan l'aurait fait sans hésiter. Mais Iris l'attendait de pied ferme avec ses grands yeux implorants et Gabriel, peut-être déjà mort et enterré depuis des lustres, semblait l'observer avec mépris de là-haut. Non, il ne pouvait pas le décevoir.

- Iris, commença-t-il d'une voix presque hésitante. - Ce que je vais vous montrer n'est pas facile à digérer.

Le jeune député pria en silence pour que la sœur réagisse différemment de son frère... Ou peut-être qu'au fond de lui, il s'en voulait. Il s'en voulait de ne pas avoir suffisamment essayé, de ne pas avoir insisté, de ne pas avoir pu l'aider, de ne pas avoir pu le sauver.

Ça aussi, Bardella refusait catégoriquement de se l'avouer, car l'admettre, c'était reconnaître que ses sentiments allaient bien au-delà de l'amitié, que tout était plus profond, plus intense, plus viscéral.

N'y tenant plus, Iris Attal abattit la couverture du dossier dans un silence pieux. Les premiers documents officiels apparurent, tous estampillés du sceau de la police nationale. Elle se sentait comme Pandore, la mythique figure qui, en ouvrant la boîte, avait libéré tous les maux sur l'humanité.

'Rapport de Police : 25 juin 2011 - Plainte déposée par M. Victor Duhler à l'encontre de M. Laurent Ruault.'

Iris déglutit difficilement, les mains tremblantes. Pourtant, elle savait pertinemment ce qui l'attendait derrière ces quelques lignes. Mais peut-on vraiment s'habituer à tous les maux de l'humanité ? Seuls les fous le peuvent, pesta-t-elle silencieusement en saisissant fermement la première feuille.

Résumé des faits : Le 22 juin 2011 M. Victor Duhler, 24 ans, s'est présenté au commissariat du 19ème arrondissement de Paris pour déposer une plainte contre son ex-compagnon, M. Laurent Ruault. Selon les déclarations de M. Duhler, l'agression s'est produite la veille, le 21 juin 2011, aux alentours de 20h30, dans le jardin privé de M. Ruault, où les deux hommes s'étaient donné rendez-vous pour discuter de la restitution de certains effets personnels appartenant à M. Duhler.

Déclaration de la victime : M. Duhler a expliqué que la rencontre avec Laurent Ruault avait débuté de manière cordiale, mais que la situation avait rapidement dégénéré lorsqu'il avait exprimé son souhait de couper tout contact. M. Laurent Ruault, visiblement agité et sous l'emprise de l'alcool, aurait alors commencé à l'insulter avant de devenir physiquement violent.

Description de l'agression : Selon M. Duhler, M. Laurent Ruault l'aurait saisi par le col et l'aurait violemment poussé contre le mur de sa demeure. Il aurait ensuite commencé à le frapper au visage à plusieurs reprises, provoquant des contusions sur l'œil gauche et une coupure à la lèvre supérieure.

Iris Attal se mordit l'intérieur de la joue pour ne pas flancher.

Ses doigts serraient le papier si fort qu'elle risquait de le déchirer, mais c'était presque instinctif, comme si elle espérait avoir le pouvoir d'effacer la réalité des faits inscrits à l'encre indélébile sous ses yeux. 

REQUIEM- Attal & BardellaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant