26 I Chute Libre

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Gabriel fixait l'écran de son téléphone depuis plusieurs minutes déjà, l'angoisse s'enroulant autour de sa gorge comme une corde prête à le pendre. Il appuya finalement sur le contact de Bardella.

Son pouce hésita une fraction de seconde sur le surnom "Chaton". Devait-il en finir avec ça ? Le changer ? Non. Il aimait bien l'appeler Chaton. Ça lui rappelait les moments où tout n'était pas encore foutu.

Gabriel appuya sur "Appeler".

Le téléphone sonna une première fois. Puis une deuxième. Pas de réponse.

Tu t'attendais à quoi... murmura-t-il pour lui-même.

Les souvenirs de leur dernière dispute lui revenaient en rafales : les pleurs, les cris, les accusations, et surtout, la vérité. Celle qu'ils avaient trop longtemps enterrée.

"Je suis fatigué de me battre seul" lui avait lâché Jordan avec rancœur.

Cette pique avait fait son chemin depuis, s'infiltrant dans chacune de ses fissures, l'érodant un peu plus à chaque répétition. Bien sûr que Jordan était fatigué de se battre ! Qui ne le serait pas à sa place ? Lui-même n'en pouvait plus.

Mais là, maintenant, il n'avait pas le luxe de se laisser emporter par cette merde émotionnelle. L'interrogatoire était prévu pour demain matin. 9h. Les flics allaient tout retourner, fouiller chaque recoin de sa vie, et son avocat lui avait clairement dit : ils ne se contenteraient pas que de la sienne.

Ça lui retournait l'estomac, l'idée d'un Jordan, pieds et mains liés, coffré à cause de ses conneries. La cerise sur le gâteau. Le clou du spectacle. Le putain de bouquet final.

Gabriel passa une main nerveuse dans ses boucles brunes, les tirant presque alors que la culpabilité lui pesait comme une enclume sur la poitrine.

Si les flics mettent la main sur lui, c'est fini...

Il se redressa brusquement dans son fauteuil, incapable de rester assis à ne rien faire — que son avocat aille au diable, lui et son silence. Jordan ne devait pas payer pour ses conneries !

Il tapota rapidement un message, les mots se succédant sans qu'il y réfléchisse vraiment.

"On a un problème. Je ne peux pas t'en dire plus par message. Appelle-moi. C'est assez urgent."

Puis, il attendit, fixant l'écran comme un gosse qui espère voir débarquer le putain de père noël sous le sapin. Sauf que le père noël n'existe pas — surprise, tu es si naïf pour y croire encore ou quoi ?

Mais le ministre ne se laissa pas abattre. Il noya ses angoisses dans son verre de rhum et tapa un second message.

"Jordan, s'il te plaît, c'est important. Tu sais que je ne te demanderais pas ça, si ce n'était pas grave."

La petite mention "Vu" apparut, mais toujours aucune réponse.

"C'est pas une stratégie pour que tu me répondes. C'est réel. Je suis dans la merde. Tu es dans la merde. Nous sommes dans la merde."

On ne pouvait pas faire plus clair, non ? Eh bien, visiblement, ça ne suffisait pas à Bardella qui restait foutrement silencieux. Gabriel serra les dents. Si son amant cherchait à ce qu'il le supplie à genoux, et bien soit, qu'il en soit ainsi.

"Si tu veux jamais plus me parler après ça, je comprendrai, je te le jure. Mais là, on doit tout mettre de côté, Jordan. Tout. Nos engueulades, notre merde, tout ce bordel. Je t'en supplie... appelle-moi. Je te demande rien d'autre, juste, s'il te plaît, appelle-moi."

REQUIEM- Attal & BardellaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant