6 I Tâche de vin

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Gabriel Attal et Jordan Bardella s'étaient installés sur un vieux banc en bois, seulement éclairé par les réverbères. La lumière tamisée plongeait les quais de Seine dans une ambiance presque romantique, ses reflets dansant doucement à la surface des eaux sombres du fleuve.

Les deux hommes partageaient une bouteille de vin rouge achetée à la hâte dans une supérette du coin. Le liquide était bon marché, mais à cette heure avancée de la nuit, leur soif l'emportait sur le goût.

Jordan plissa le nez : - Putain, c'est dégueulasse, rigola-t-il en tendant la bouteille à son homologue.

Gabriel la porta à ses lèvres, inclinant légèrement la tête comme s'il appréciait un vin prestigieux. Un sourire espiègle étira sa bouche alors qu'une idée lui venait en tête.

- Hmm, des notes subtiles de fruits rouges avec une touche de chêne... Très... authentique, commenta-t-il avec ironie. Il ouvrit légèrement la bouche, inhalant doucement par le nez pour libérer davantage d'arômes. - Je reconnais ça, c'est Caveneta.

Bardella leva un sourcil, l'air amusé. - Tu te fous de moi, là ? Qu'est-ce que c'est que ce vin encore ?

Gabriel posa la bouteille sur ses genoux, heureux de la chute de sa blague

- Du vin en brique.

Jordan éclata de rire, s'étouffant avec son breuvage. Il secoua la tête, couvant l'homme à sa droite d'un regard presque tendre.

- Tu devrais te lancer dans une carrière de sommelier, renchérit-il.

- J'aurais pu, ma grand-mère a été mariée à un homme, c'était pas n'importe qui. Il avait un domaine dans le nord de la Corse, Vecchio. Du très bon, je peux te le dire.

À mesure que la bouteille se vidait, les discussions devinrent plus légères. Les deux hommes avaient tacitement convenu d'éviter la politique ce soir-là... À tel point que les rires ponctuaient une bonne partie de leurs échanges, effaçant peu à peu la barrière professionnelle entre eux.

Gabriel apprit que Jordan allait sur ses 29 ans, était un Vierge du 3ème décan, avait une passion pour les sucreries et les avions de chasse, qu'il avait été membre d'un club de tennis plutôt réputé dans sa petite ville de Saint-Denis et surnommé l'enfant prodige. Ça lui ressemblait bien à ce petit narcissique, s'amusa-t-il silencieusement en reprenant une gorgée de vin.

Peut-être que le karma existait vraiment, car il renversa la bouteille sur son torse et le vin éclaboussa sa chemise blanche.

Le Premier Ministre regarda les fines gouttelettes écarlates s'écraser contre son torse, impuissant. Il resta interdit quelques secondes, réalisant avec amertume l'étendue de la situation. Il avait l'air d'un minable, un poivrot même, avec sa bouteille vide, son regard hagard et ses gestes maladroits.

Plus jamais je ne bois autant, se promit le politicien alors qu'il frottait frénétiquement le tissu en lin pour essayer de faire disparaître la tache. Mais rien n'y faisait, le vin semblait s'être incrusté dans les fibres, défiant tous ses efforts.

- Enlève-la, je vais la nettoyer, proposa Bardella, désignant du doigt la Seine qui scintillait non loin d'eux.

L'idée de se retrouver torse nu, aux côtés de son rival, était étrangement tentante. Gabriel hésita un instant, puis, il réalisa que c'était la meilleure option pour éviter de ruiner complètement sa chemise hors de prix... Il retira donc lentement le vêtement taché.

Ses doigts maladroits s'attaquèrent au premier bouton. Gabriel sentit la brise légère sur sa peau exposée et le contact frais de l'eau sur ses doigts lorsqu'il se pencha pour tremper sa chemise dans le fleuve. Bardella le rejoignit, offrant son aide comme il pouvait.

REQUIEM- Attal & BardellaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant