53 - Alexandre

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Alexandre court. Il en ignore lui-même la raison. Matéo dormait toujours, les adultes et Alyssa également, le soleil se levait dans un nuage de couleurs pastel, Alexandre a enfilé un jogging, ses vieilles baskets et est sorti. La fraîcheur matinale l'a pris par surprise. Il s'est dirigé droit vers l'aurore devant lui. Nez en l'air, trottinant, il regarde le monde se réveiller. Un rose pâle se mêle savamment au bleu un peu plus foncé, jusqu'à former un délicat violet.

C'est beau. Il accélère un peu, pense aux fois où il a couru avec Alyssa. Peut-être qu'il va finir par y prendre goût, après tout. Ce n'est pas si désagréable. L'air frais qui s'engouffre dans ses poumons lui semble purifiant, le rythme régulier de ses pieds qui heurtent le sol l'apaise. Les arbres qui bordent le sentier s'éclipsent peu à peu, laissant les premières lueurs du soleil effleurer sa peau. Le chemin de terre s'étend loin devant lui, il continue d'avancer, concentré sur son souffle.

Il y a deux silhouettes au loin, remarque-t-il au bout d'un moment. Il plisse les yeux. Les deux personnes avancent dans sa direction, et Alexandre tente de se remémorer ce qu'il y a au bout du sentier.

Alors que les silhouettes deviennent de plus en plus nettes, il écarquille les yeux. Au bout du sentier, la demeure des voisins.

— C'est pas vrai, râle-t-il en ralentissant vivement l'allure.

Il s'arrête tout à fait, se penche en avant pour reprendre son souffle, mains sur les genoux. La voix rêche de la femme lui parvient, il grimace.

— Alexandre, c'est ça ? grince-t-elle.

Il se redresse, toujours un peu essoufflé, acquiesce d'un hochement de tête. Alors qu'il s'apprête à leur souhaiter poliment une bonne journée et à détaler, la femme ajoute :

— Comment va Avel ? Il est remis ? À son âge, ce sera un miracle s'il ne fait pas une pneumonie...

Alexandre cligne des yeux, perdu.

— Une pneumonie ? répète-t-il.

— Quelle idée de se jeter à l'eau, aussi ! Comme s'il était encore suffisamment en forme pour ça !

— Pour... quoi ? De quoi vous parlez ?

Il dévisage la voisine, qui esquisse une moue exaspérée, puis le voisin, qui se frotte le visage.

— Il s'est jeté à l'eau pour empêcher Ernie de se noyer cette nuit. Vous avez pas entendu les ambulances ?

— Paraît qu'il a refusé d'aller à l'hosto, ajoute sa femme. S'il meurt d'une pneumonie, ce ne sera pas étonnant !

Figé sur place, Alexandre met quelques secondes à répondre.

— Il va bien ? questionne-t-il finalement.

— Qu'est-ce que j'en sais, moi ! On allait justement prendre de ses nouvelles, pas vrai, chéri ?

Le chéri en question s'empresse de confirmer, et Alexandre se renfrogne un peu plus. Il comprend mieux que Matéo soit resté éveillé si tard la veille, et que personne ne se soit levé ce matin. Après qu'Alyssa est partie rejoindre son père, Alexandre est resté encore longtemps à l'étang, allongé sur la berge, les yeux rivés sur le ciel. Machinalement, il a guetté les étoiles filantes, songeant à son propre père, bientôt libre, à son frère qui refusera de le revoir, à sa mère qui, peut-être, les regarde de là où elle est. Alexandre ne croit pas spécialement à la vie après la mort, mais il ne croit pas plus au néant. Il ne croit rien, n'imagine rien, tout simplement. Il évite de se poser des questions. Sa mère lui manque, mais à présent qu'elle n'est plus là, il avance. Son père ne lui manque pas, mais à présent qu'il pourrait revenir dans leurs vies, il hésite.

Ce que souffle le ventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant