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— Jordan, c'est Stéphane. J'ai un service à te demander.

Plusieurs secondes silencieuses s'écoulèrent, le temps pour Jordan d'intégrer ce qu'il venait d'entendre. Quand il fut sûr d'avoir bien compris, il demeura figé, complètement incrédule face à l'audace de Stéphane.

— Tu te fous de ma gueule, j'espère ?

Il était partagé entre son envie de rire et celle de l'insulter.

— Laisse-moi t'expliquer, ça ne t'engage à rien. Et ça va t'intéresser.

Jordan laissa échapper un soupir d'exaspération, mais la curiosité qu'avaient éveillée ses derniers mots le fit céder :

— Si tu n'as pas fini dans trois minutes, je raccroche.

— Je n'aurais pas besoin de tant. On a été pris en photo, Gab et moi. Et je pense qu'on était assez proches pour qu'il n'y ait pas de doute sur le type de relation que nous entretenons. La journaliste me demande une somme d'argent que je ne peux décemment pas lui offrir en échange de son silence.

Jordan haussa les sourcils, jouant distraitement à plier les coins de sa feuille de papier.

— Et en quoi cette information trépidante est censée m'intéresser ?

— Quand j'ai été nommé Ministre de l'Europe et des Affaires étrangères en janvier, ça avait pas mal fait parler, les gens étaient persuadés que j'avais obtenu le poste juste parce que j'étais pacsé avec le Premier Ministre. C'est à ce moment que nous avons été forcés de révéler que nous n'étions en fait plus ensemble depuis deux ans.

Jordan mit quelques secondes pour relier les faits, stoppant son activité manuelle. Puis il murmura, presque pour lui-même :

— Tu as peur du scandale que cette relation pourrait provoquer, n'est-ce pas ? Tu as peur que l'on pense que tu as monté de toutes pièces votre séparation pour ne pas éveiller les soupçons ?

— Bravo, Sherlock.

Jordan se réinstalla confortablement dans le fond de son fauteuil, un sourire cruel aux lèvres.

— Je n'ai plus qu'à te souhaiter bon courage, alors, lança Jordan. Pas sûr que tu conserves ton poste, après ça.

— Ne t'inquiète pas pour moi, répliqua Stéphane avec une assurance déconcertante. Je vais le conserver, puisque cette photo ne va jamais paraître. Grâce à toi.

Jordan haussa un sourcil et laissa échapper un ricanement sarcastique.

— Je te demande pardon ? Si tu veux que je me mouille pour toi, j'espère que tu as une contrepartie sérieuse à me proposer.

— Je n'ai absolument rien à te proposer en échange. Mais tu vas quand même tout mettre en œuvre pour empêcher ça.

La confiance inébranlable et la note de triomphe sous-jacente qu'il entendit dans la voix de Stéphane firent frémir Jordan de frustration.

— Compte dessus, railla-t-il. Bonne soirée.

Jordan s'apprêtait déjà à raccrocher, mais la voix de Stéphane le stoppa dans son élan.

— Tu le feras pour Gabriel.

Le pouce de Jordan resta suspendu au-dessus du bouton rouge.

— Tu sais très bien que cela pourrait nuire à son image au moins autant qu'à la mienne.

Une liste d'insultes originales et variées défila dans l'esprit de Jordan, mais il s'efforça de garder une façade parfaitement indifférente.

— Je ne vois pas en quoi ça me regarde.

Stéphane eut un léger rire.

— Ne fais pas l'innocent, Jordan. Tes yeux ne mentent pas, tu sais. Tes sentiments pour Gabriel sont bien plus profonds que ce que tu ne veux l'admettre, tu es complètement fou de lui. D'ailleurs, si ce n'était pas le cas, tu aurais déjà raccroché. 

Il marqua un temps de pause, avant d'ajouter d'une voix satisfaite :

— On le sait tous les deux.

Jordan se figea, le cœur battant à tout rompre tandis que les mots de Stéphane tombaient comme verdict implacable, paralysé par l'énoncé brutal de ce qu'il n'avait jamais osé formuler à voix haute.

Ses mains tremblaient, et son souffle se raccourcissait alors qu'il réalisait que chaque seconde de silence était un aveu involontaire. Jordan fulminait, piégé.

— C'est bien ce que je pensais, conclu Stéphane.

Jordan serra les dents, la jointure de ses doigts blanchissant sous la pression qu'il exerçait sur son portable.

— Ne t'inquiète pas, reprit-il. Ça devrait être dans tes cordes. La journaliste en question, c'est la petite blonde du Figaro. Il me semble que vous vous connaissez, non ?

Stéphane parlait de Claire, une jeune journaliste qui débutait dans le milieu et qui avait interviewé Jordan juste avant les législatives. Après l'entretien, elle lui avait exprimé son admiration, soulignant combien il était une source d'inspiration pour sa carrière.

— Vaguement, répondit Jordan.

— Très bien, dit-il d'un ton calme. Je suis sûr que tu trouveras une solution. Bonne soirée.

Jordan entendit le bruit de la tonalité de fin d'appel et demeura figé, le regard vide. La voix calculée de Stéphane résonnait encore dans son esprit, et sa frustration se mua en colère.

Dans un accès de rage, il se dirigea vers l'étagère la plus proche, la saisit et la renversa d'un coup sec. Livres, cadres photo et objets personnels s'éparpillèrent bruyamment sur le sol. Les fragments de verre, les livres renversés et les feuilles éparses étaient le parfait reflet de ce qui se déroulait intérieurement en lui.

Essoufflé, Jordan fixa le champ de ruine qu'il venait de créer. Il n'avait d'autre choix que de se plier à ce que lui demandait Stéphane. Il était impuissant. Et l'admettre le rendait fou.

Après quelques minutes de réflexion, il se ressaisit et se dirigea vers son téléphone, pour contacter Claire : sa colère avait fait place à une détermination froide. Il devait trouver une solution, et rapidement. 

Parti PrisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant