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Les yeux secs et la tête lourde, Jordan luttait pour ne pas s'assoupir. Sur ses genoux reposait paisiblement Gabriel, la bouche légèrement entrouverte, laissant échapper un souffle calme et régulier. Il était passé six heures du matin. La pièce, plongée dans le silence, n'était éclairée que par la faible lumière du soleil qui se levait : tout autour de lui appelait au sommeil. Mais il avait promis.

L'écran du téléphone s'alluma enfin sur la table basse, affichant la photo d'une femme d'une soixantaine d'années.

— Gabriel, murmura Jordan en le remuant doucement par l'épaule. Ton portable.

Gabriel ouvrit brusquement les yeux et se rua presque dans le même temps sur l'appareil, comme s'il n'avait pas été plongé dans un profond sommeil quelques instants auparavant.

— Maman ?! Tout va bien ? demanda-t-il en se relevant, la voix rauque.

À la vue de son visage soulagé lorsqu'il se rassit aussitôt, Jordan comprit que les nouvelles n'étaient pas trop mauvaises. L'appel fut bref, et le sourire que lui offrit Gabriel après avoir raccroché valait toutes les nuits blanches du monde.

— Nicky est sorti du bloc. Je peux aller les voir dès huit heures.

Jordan partagea sincèrement sa joie, et un sourire chaleureux étira ses lèvres.

— Je vais faire couler du café, déclara-t-il en prenant appui sur ses genoux pour se relever.

Gabriel hocha la tête, encore sous le coup de l'émotion.

— Ça te dérange si je vais sur le balcon pour passer un appel, en attendant ?

Jordan n'était pas idiot. Il savait bien à qui Gabriel allait parler, et l'idée de Stéphane lui donnait un pincement au cœur. Mais il ne laissa rien paraître.

— Je t'en prie, répondit-il calmement.

Lorsqu'il revint, le plateau chargé d'une cafetière fumante et de deux tasses, Gabriel était encore dehors, le téléphone à l'oreille.

Jordan déposa le plateau sur la table basse avant de s'asseoir, jetant de temps à autre un regard à travers la vitre. Gabriel avait l'air tendu, peut-être même un peu en colère. Et il ne put s'empêcher de ressentir une certaine satisfaction coupable.

Il finit par rentrer, les épaules un peu voûtées, et vint s'asseoir lourdement aux côtés de Jordan.

— Tout va bien ? demanda-t-il innocemment en lui servant une tasse de café.

— Des gens nous ont vu ensemble hier, et ont cru bon d'en parler à Stéphane, soupira Gabriel en se pinçant l'arête du nez.

Jordan se contenta d'un hochement de tête faussement compatissant en guise de réponse. Il laissa passer quelques secondes avant de reprendre la parole.

— Un taxi nous attendra en bas pour sept heures trente, déclara-t-il.

Gabriel leva les yeux, surpris par cette initiative.

— Tu n'étais pas obligé, Jordan... Tu en as assez fait comme ça. Je peux m'en sortir, maintenant.

Jordan haussa les épaules.

— Ça me fait plaisir. Je t'attendrai dehors. On pourrait peut-être se trouver un café pour le petit-déjeuner, après, si tu le souhaites.

Gabriel hésita, la gratitude et la confusion se bousculaient sur son visage.

— Jordan, je... Stéphane...

Jordan leva une main pour l'interrompre.

— Sans arrière-pensée, bien entendu, précisa-t-il d'un ton théâtral.

Parti PrisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant