15. - partie 1

659 43 60
                                    

Jordan avait tenu sa promesse : il n'avait jamais franchi les limites de l'amitié au cours de leurs interactions ces dernières semaines - même s'il flirtait subtilement avec les frontières. Ils discutaient simplement de tout et de rien avec légèreté quand l'occasion se présentait, que ce soit au détour d'une réunion ou lors d'une brève pause-café.

Gabriel avait cependant conservé l'exclusivité de la douceur de Jordan. Il était le seul à qui il destinait sa voix apaisante, ses sourires sincères et empreints d'une beauté rare, et ses regards pleins de préoccupation. Tout cela lui était réservé, et il devait admettre que cela nourrissait en lui un sentiment de privilège dont il ne se lassait pas.

Il lui arrivait de découvrir une canette de Coca Zéro sur son bureau à l'Assemblée, laissée là discrètement dans un geste prévenant. Jordan passait aussi quelques fois directement pour lui déposer un café lorsqu'il en prenait un pour lui-même. Ces attentions silencieuses étaient la façon dont il préférait exprimer sa présence : Gabriel savait à quel point les démonstrations verbales n'étaient pas son fort. Il se montrait attentif sans jamais être envahissant, et il se révélait aussi être particulièrement drôle lorsqu'il était d'humeur.

Une nouvelle facette de lui émergeait, et Gabriel devait bien avouer qu'elle ne lui déplaisait pas.

De temps en temps, Jordan s'amusait à lui faire perdre ses moyens, en le charmant ouvertement ou en lui parlant avec une franchise crue et assumée de ses sentiments. Mais, malgré tout, il demeurait éternellement derrière cette ligne invisible qu'il avait lui-même tracée, comme s'il se tenait de l'autre côté d'une vitre, observant Gabriel en attendant sagement son heure. Ses provocations, bien qu'audacieuses, ne franchissaient jamais cette limite bien définie, et chacune de ses actions restait toujours dans le cadre de ce qu'une amitié pouvait admettre.

Gabriel s'était pourtant attendu à ce qu'il dérape. Il aurait été d'ailleurs plus simple pour lui de se concentrer sur sa relation avec Stéphane si Jordan avait tout gâché, comme il avait l'habitude de le faire jusque-là. Mais les jours passaient, et il continuait à faire preuve d'un contrôle parfait, ce qui ne faisait que le déstabiliser davantage.

Chaque sourire charmeur mais respectueux, chaque geste mesuré, chaque attention de sa part alimentait une frustration inexplicable chez Gabriel. Il se retrouvait tiraillé entre une attirance croissante et une irritation sourde, sans arriver à mettre le doigt sur la raison pour laquelle il était si agacé par cette apparente maîtrise de soi.

Gabriel terminait sa semaine dans son bureau. La chaleur persistante de la fin de l'été s'infiltrait par les fenêtres ouvertes, tandis que la soirée avançait. Fatigué mais satisfait du travail accompli, il s'apprêtait à ranger ses affaires lorsqu'il entendit un léger coup à la porte.

Jordan s'infiltra dans la pièce avec un sourire complice. Il s'était déjà mis à l'aise pour le weekend, ne portant plus qu'une chemise légère adaptée à la chaleur ainsi que son pantalon de costume. Leur poste respectif les forçait demeurer discrets quant aux liens qu'ils entretenaient lorsqu'ils étaient à l'Assemblée, ce qui n'empêchait pas Jordan de venir se glisser furtivement dans le bureau de Gabriel lorsque les couloirs vides le lui permettaient.

Il s'approcha du grand meuble en bois, et avec le sourire grandissant d'un enfant impatient, sortit une flasque de sa poche pour la poser avec nonchalance devant Gabriel.

— On trinque à la fin de semaine ? proposa innocemment Jordan, les yeux pétillants.

Gabriel leva les yeux vers lui, et ses lèvres s'étirèrent en un sourire qu'il ne put retenir. Il attrapa la flasque avec un mélange de curiosité et de gratitude, et sentit son contenu. C'était du whisky.

Parti PrisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant