14.

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Jordan observait Gabriel, appuyé sur la table, le fixant d'un air accusateur.

Peu importe ce qu'il faisait, les mêmes expressions revenaient sans cesse sur le visage de Gabriel lorsqu'il se trouvait en sa présence. La colère. Le mépris. La déception. Jordan n'en pouvait plus, ça allait réellement finir par le rendre fou.

Il pouvait presque percevoir la lutte intérieure de Gabriel, sa tentative de mettre du sens dans le chaos que Jordan semait dans sa vie. Ce moment de tension suspendue dans l'air, où chaque seconde s'étirait à l'infini, faisait bouillir le sang de Jordan autant qu'il lui brisait le cœur.

Et puis, sans signe avant-coureur, Gabriel franchit la distance qui les séparait en quelques enjambées. Jordan tendit ses muscles par reflexe, s'apprêtant à recevoir un coup, prêt à encaisser le choc, sans intention de se défendre.

Mais au lieu de ça, Gabriel le saisit par la nuque et l'embrassa avec une intensité désespérée.

Le choc de cette initiative ne figea Jordan qu'une fraction de seconde, avant qu'il ne réponde au baiser avec la même violence teintée d'avidité, comme s'il étanchait une soif qui durait depuis des semaines. C'était brutal, confus, mais vital.

Le goût de ce baiser avait quelque chose de nouveau, et Jordan sentit une chaleur envahir son corps : Gabriel, avait choisi de l'embrasser. Gabriel, qui avait toujours été si réticent, droit et prudent, avait délibérément franchi ses propres barrières. Pour lui. Malgré ses erreurs et leurs conflits. Malgré Stéphane.

Et cet acte était lourd de significations. C'était la confirmation silencieuse d'un désir partagé, l'écho de ses propres sentiments. La preuve tangible qu'il n'était pas le seul à être submergé par ce qu'il ressentait.

Les gestes de Jordan devinrent plus lents, plus profonds. Il voulait savourer chaque instant, vivre pleinement l'intensité du moment. Car, Dieu, que c'était bon. La douceur de ses lèvres, la chaleur de son corps, le vide persistant au creux de sa poitrine qui se comblait enfin. La sensation d'être entier.

Pour la première fois et sans que l'on y contraigne, Jordan abandonna tout contrôle. Il se laissait simplement aller, savourant chaque sensation. Il déposa une main au creux du cou de Gabriel, caressant la peau juste sous sa mâchoire avec son pouce, dans un geste tendre et intime.

Alors que le baiser s'intensifiait, un besoin sourd et impérieux qui appelait désespérément à plus se fit progressivement impossible à ignorer. Jordan savait que ce moment était précieux mais fragile, et il craignait de tout gâcher en allant trop loin, trop vite. 

Leurs corps se pressaient plus fort l'un contre l'autre, leurs mains s'aventuraient plus loin, leurs respirations s'accéléraient dangereusement. Mais Jordan ne pouvait pas se permettre de simplement céder à ses pulsions. Gabriel était dans un état de confusion, et il refusait de profiter de cette faiblesse.

— Gab, attends.

La voix de Jordan était rauque, chargée de désir contenu. La rupture du contact de leurs lèvres lui avait été littéralement douloureuse.

— Je veux être sûr que tu sais ce que tu fais, murmura-t-il en dévorant Gabriel du regard, alors qu'il avait déposé son front contre le sien.

Son souffle était court, et bien que son être entier lui implorait de fondre de nouveau sur sa bouche, il attendit patiemment une réponse.

— Je ne le suis pas, souffla Gabriel avec une franchise désarmante.

Ses yeux, embrumés d'une étrange lueur de fascination, restaient obstinément fixés sur les lèvres de Jordan. Il semblait être dans un état second, flottant entre l'intensité du désir qu'il ressentait et la réalité. Ses réactions étaient lentes, ses expressions indécises.

Le manque de lucidité et la vulnérabilité de Gabriel frappèrent Jordan de plein fouet. Il prit une grande inspiration pour tenter d'apaiser son propre désir, puis recula avec précaution, en marquant une distance prudente. A la fois en signe de respect, mais aussi car cela lui était nécessaire pour garder le contrôle sur ses propres pulsions. Il ne voulait pas risquer d'aller au-delà des limites du consentement fragile de Gabriel.

Gabriel le fixa d'abord avec une expression mêlant incompréhension et reproche. Puis, Jordan observa sa confusion augmenter graduellement, tandis que ses yeux retrouvaient lentement leur clarté.

Il lui donna le temps de reprendre ses repères, de faire le point sur ses émotions et ses choix. Jordan savait que ce moment était crucial, et il se tenait en retrait, respectant l'espace et la réflexion dont il avait besoin pour évaluer ce qu'il ressentait vraiment.

— Je... commença Gabriel.

Mais ses mots restèrent en suspens, et Jordan eut un sourire sans joie. Il lisait aisément en lui. Le trouble, la colère, le désir. La culpabilité.

— Ne t'inquiète pas, coupa-t-il. Je comprends.

Et c'était vrai, il comprenait. Gabriel le regarda, désemparé et désolé. Il était visiblement incapable de trouver les mots adéquats.

La soudaine lucidité qui traversa Jordan le poussa alors à s'exprimer avec une sincérité cristalline.

— Tu sais, la dernière fois que l'on s'est embrassé, quand tu as enchaîné avec mes quatre vérités..?

Il lui laissa un instant pour se remémorer ce moment.

— Tu avais raison, sur toute la ligne, reprit Jordan, un sourire résolu mais amusé aux lèvres. Je suis toxique, contrôlant, égoïste au possible, et tout ce que tu voudras d'autre. Stéphane t'apporte des choses que je ne pourrai jamais t'offrir, et je suis incapable d'aimer. Et de toutes les façons, tu es beaucoup trop bien pour moi.

Gabriel fronça les sourcils, prêt à protester. L'appréhension de la suite du discours de Jordan était lisible sur ses traits, mais celui-ci ne lui laissa pas le temps de l'interrompre.

— Mais je te veux, Gabriel. Et tu me connais assez pour savoir que je mets toujours tout en œuvre pour obtenir ce que je désire. Je travaillerai sans relâche pour être à ta hauteur.

Les traits de Jordan étaient redevenus parfaitement sérieux.

— Et un jour, je te mériterai, Gabriel. Je peux te le promettre.

Jordan fit une pause, laissant le temps à Gabriel de s'imprégner de ses mots.

— D'ici-là, voile-toi la face avec Stéphane si tu le souhaites. Tant qu'il te rendra heureux, je respecterai votre relation. Mais on sait tous les deux ce qui nous lie, et on sait aussi tous les deux que tu reviendras vers moi.

Un sourire sincère illumina son visage, et il ajouta avec une assurance inébranlable :

— Et tu le feras de ton plein gré.

Gabriel le regarda longuement, stupéfait. Puis, son expression se mua en une sorte d'acceptation, avant qu'il ne baisse finalement la tête, un léger sourire aux lèvres.

— Si tu le dis.

Jordan s'approcha lentement pour lui déposer un baiser sur une de ses pommettes, une promesse silencieuse qu'il respecterait le temps dont Gabriel aurait besoin.

— Fais-moi confiance, murmura-t-il.

Gabriel leva les yeux vers lui, une étincelle de fragilité passant fugitivement dans son regard. Il ne dit rien, mais un léger hochement de tête sembla indiquer qu'il avait compris.

Jordan recula, rompant le contact visuel, et se tourna pour se diriger vers la porte. Avant de franchir le seuil, il se retourna brièvement, une expression sereine sur le visage.

— On en reparlera quand tu seras prêt, dit-il simplement. Puis il sortit, laissant la pièce plongée dans un silence chargé d'émotions complexes. 

Parti PrisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant