Chapitre 2 : Mauvaise idée

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Elena

Après plus de trois heures, perchée sur le rebord de ma fenêtre, à avancer sur ma nouvelle lecture ''Il était une fois un cœur brisé" de Stéphanie Garber, je vois enfin Hélios remonter des falaises. Ou plutôt je vois d'abord Arès retraverser mon jardin tout mouillé, suivi par un Hélios haletant lui courant après. Qu'est-ce qu'il est beau, les cheveux pleins d'eau, et les joues rougies par la course. Il récupère son chien, et continue son chemin vers sa maison. J'attends qu'il soit rentré chez lui, pour préparer mon sac. J'embarque avec moi un maillot, une serviette, et évidemment mon roman. Baskets aux pieds, je m'élance sur le chemin emprunté un peu plus tôt par l'agent immobilier. Je ne savais pas qu'il y avait un passage dans la falaise pour descendre au bord de la plage, et cela me rend heureuse de savoir que j'ai un accès pratiquement privé à l'océan.

Le chemin est ardu, il me faut pratiquement une demi-heure pour arriver à la fin du chemin, alternant entre petit sentier escarpés, et gros rochers à escalader, mais la quête en vaut le coup. Après une dernière grosse roche à passer, j'arrive enfin au bord de l'eau, jette mes chaussures sur le sable, et profite de l'eau fraîche sur mes pieds. Le paradis tout simplement. L'eau est tellement bonne, que je mets même à nager, mais seulement sur le bord, car j'ai appris avant mon arrivée, à quel point l'océan peut être dangereux. Baïnes, ressac, shore break, les dangers sont multiples, divers et variés, et il serait insensé de prendre des risques inutiles. Les baïnes pourraient m'emporter au large, le ressac me couler, et le shore break, me briser la nuque. Et tout ça, c'est sans compter les rochers ou les vents de terre. Bref, bien trop de dangers dont je me protège en restant sur le bord, prudente, et attentive à la montée des eaux et aux changements de vent. Quand je me dis que toutes ces informations je les ai apprises dans les livres, j'en suis la première surprise. Ma vie toute entière, et la quasi-totalité de mes connaissances, me viennent de mes romans, de toutes les lectures que j'ai pu enregistrer dans mon esprit. Je trouve ça dingue de me dire que je connais et que je comprends autant de choses, grâce à mes livres, mais que je sois encore incapable de ressentir le sentiment amoureux. La théorie est toujours plus claire que la pratique malheureusement.

Je passe presque deux heures à barboter dans l'eau, profitant de la marée basse pour rester en position semi-allongée dans l'océan, afin de pouvoir finir mon livre. J'aime ces moments où le roman est tellement bon, qu'on a carrément l'impression d'être au cinéma devant un film. Ces moments où je ne lis plus des mots, mais où je vois des images dans ma tête. Un feeling incroyable, celui d'être vraiment déconnecté de la réalité, pour partir dans un monde fantastique. Si seulement ils pouvaient exister pour de bon ces mondes, et ne pas rester qu'une brique dans ma bibliothèque, ce serait vraiment génial...Donnez-moi une chance de rejoindre ces univers pleins de magie, et vous pouvez être sûrs de ne plus jamais me revoir. Ce sera un aller sans retour pour rejoindre mes personnages fictifs, sans la moindre hésitation. J'aime l'idée de pouvoir m'attacher à tous les personnages, et d'hésiter comme l'héroïne entre deux love interest. Jacks ou Apollon, lequel choisir ?

Trop perdue dans mes divagations, je ne me rends pas compte que la marée basse, n'est plus si basse que ça. Au contraire, l'eau commence à monter de plus en plus, et assez rapidement. Je rassemble vite mes affaires, fourrant tout en boule dans mon tote bag, et m'élance vers les rochers. Une fois le gros rocher passé, la panique me saisit d'un coup : l'eau est montée vite, trop vite, et le seul sentier pour remonter est désormais noyé sous les vagues, derrière un autre rocher. Des vagues de plus en plus fortes, de plus en plus brusques s'échouent sur les rochers, en claquant férocement. Avoir lu autant sur les dangers des shore break, pour me retrouver dans cette posture-là, à cause d'un livre, c'est quand même pas du tout amusant. Je pivote, pour repartir de là où je viens, afin d'essayer de trouver un autre passage. Mais à ma grande stupeur, même la plage est désormais recouverte par l'écume. Je prends doucement conscience de ce qui est en train de se passer, mais le choc me pétrifie quand même : je vais mourir ici. Que je me noie lentement, ou que je me brise la nuque contre les rochers, la fin sera la même, je vais mourir ici et maintenant. Quel coup du sort atroce que d'avoir quitté Grenoble pour échapper au fantôme de ma mère, tout ça pour la rejoindre finalement dans l'au-delà.

Non ce n'est pas bon, il faut que j'arrête de divaguer et que je me concentre, je ne peux pas mourir ici, je ne peux pas mourir maintenant. Mais déjà, l'eau recouvre mes chaussures, et les vagues menacent de me faire perdre l'équilibre. Je regarde mon téléphone, pour appeler à l'aide, même si je sais que les secours interviendront trop tard. Résignée, je me débarrasse de mon sac, et quitte ma robe, afin d'être délestée d'un maximum de poids. Me voilà désormais en maillot de bain, prête à me battre pour ma propre vie. Je n'ai plus qu'une solution qui s'offre à moi, prendre de l'élan et sauter le plus loin possible, en espérant atteindre le deuxième rocher qui me permettra d'escalader le rebord de la falaise, pour me mettre en sécurité, le temps que la marée redescende. Une longue attente, certes, mais qui est plus acceptable que la mort atroce qui s'annonce. Je souffle un coup, j'inspire, j'expire, il faut que je saute, je n'ai plus beaucoup de temps à présent. Je pars du plus loin possible, pour prendre le plus d'élan, et enfin je cours. Je cours et je saute. Et je sais que dans un autre monde, j'aurais pu atteindre le second rocher, si seulement j'avais regardé avant de sauter. Mais trop pressée par le stress, je n'ai pas observé. Et ce n'est qu'au dernier instant que j'ai vu la vague arrivé plein fouet sur moi.

On dit que lorsque l'on sait que l'on va mourir, le temps ralentit, comme pour nous laisser voir la mort arriver. Je peux le confirmer, car c'est ce que j'ai ressenti. Il y a eu cet instant, cet instant de bascule où l'on vient de sauter, et où l'on est comme figé entre deux temps. Il est trop tard pour revenir en arrière, trop tôt pour arriver en sécurité. L'instant de bascule. Celui où je vois la vague me frapper au ralenti, et me projeter dans l'océan. Je ressens la puissance de l'impact, mais c'est comme si je n'étais déjà plus dans mon corps. Je retombe lourdement, plaquée par la vague dans l'eau. Et soudain tout s'accélère. Je sens mon corps être balloté de gauche à droite. Je protège ma nuque et ma tête de mes bras, tout en me recroquevillant le plus possible sur moi-même. Je sens le courant qui m'emporte, les vagues qui me plaquent dans l'eau. A chaque fois que j'essaie de sortir la tête, une nouvelle trombe d'eau s'abat sur moi et me replonge au fond. Je le sens, je n'ai plus d'air, il faut que je respire. J'essaie de m'accrocher le plus longtemps possible, conservant la dernière particule d'oxygène au fond de mes poumons, pour vivre un instant de plus.

Puis tout s'arrête.

Je sens mon corps lâcher, je suis légère. Très légère. Trop légère. Je ne sens même plus l'eau autour de moi. Je sais pertinemment que cela ne sert plus à rien de lutter, et qu'il est l'heure d'abandonner. Même si c'est mon cerveau sait que je suis dans l'eau, mon instinct de survie me force à essayer de respirer. Quelle horreur que le système qui est censé nous sauver, soit celui qui nous achève. À l'instant où je sens que je lâche prise, et que mes poumons s'apprêtent à inspirer, une voix me sort de ma torpeur :

"-ELENA, ELENA ATTRAPE LA CORDE !"

J'entrouvre les yeux, mais bien trop épuisée par ma lutte, je n'arrive pas à tendre le bras pour l'attraper. La corde glisse entre mes doigts. L'instant d'après, un poids tombe dans l'eau juste à côté de moi, et des bras puissants me saisissent la taille. En moins d'une seconde, je suis enfin la tête hors de l'eau. J'inspire en pleurant, une immense bouffée d'air, qui me brûle immédiatement les poumons. J'étais morte. J'étais en train de mourir. Je ne sais plus, mais je n'étais plus vraiment là.

Je suis incapable de dire ce qu'il se passe ensuite, mais je sais que je me retrouve allongée sur la corniche, avec Hélios penché au-dessus de moi, qui me demande si je vais bien. Si je vais bien ? Je ne sais même pas. Je suis en vie et c'est tout ce qui compte. Je respire.

Mon cœur, même s'il ne marche pas, bat toujours.

Je souffle un coup. Je ferme les yeux. Je m'endors.

J'attends la vagueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant