Chapitre 9 : Retour

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Elena

Lundi 7 juillet

Dès 16 heures tapantes, je suis devant le bâtiment qui accueille l'EHPAD de la ville. La directrice des ressources humaines, Mme Léon, m'attend dans l'entrée. Elle me salue et m'encourage à la suivre dans son bureau pour commencer l'entretien.

« —Alors mademoiselle Rhodes, commence-t-elle d'une voix enjouée. J'ai lu votre lettre de motivation, et c'est clairement votre dynamisme qui m'a donné envie de vous recevoir aujourd'hui. Vous êtes jeune, énergique, et pleine de bonne volonté, j'ai pu le ressentir dans vos mots. C'est beau de voir une jeune femme autant pleine d'entrain.

Je rougis à ces mots. Mon père a toujours été très avare de compliments, sauf lorsque c'était pour souligner ma ressemblance avec ma mère. J'ai appris à me contenter des appréciations que je me lançais devant le miroir, et plus récemment des commentaires positifs sur les réseaux. Alors d'être là à entendre mes qualités mises en avant, cela me fait véritablement chaud au cœur.

Merci beaucoup. Cela compte vraiment pour moi d'être positive dans mon travail, et de m'y investir correctement. Ce ne sont pas seulement des patients à mes yeux, mais surtout des êtres humains, et je trouve cela important de les traiter en tant que tels, avec les mêmes égards et le même respect que j'aurai pour une personne bien portante.

C'est très beau comme vision des choses mademoiselle. Ce serait bien que plus de professionnels prennent exemple sur les gens comme vous, et se rappellent pourquoi ils font ce métier. Pour l'humain avant tout. Je vois cependant que vous ne souhaitez qu'un contrat à mi-temps, est-il possible de savoir pourquoi ?

J'ai déjà une activité professionnelle sur le côté, que je souhaite maintenir. Mais j'ai besoin de continuer à travailler dans la santé, pour ne pas perdre de vue certaines choses de mon passé.

Un ange passe, le temps qu'elle intègre l'information.

Pas de soucis, c'est assez compréhensible. Vous avez de la chance, car notre poste à mi-temps vient de se libérer il n'y a pas longtemps. Si vous êtes toujours intéressée, il est pour vous sans aucune hésitation. Vous êtes exactement le genre de soignante que l'on recherche pour accompagner nos résidents. Alors, qu'en dites-vous ?

Évidemment, j'accepte la proposition avec joie. Je ne pouvais pas rêver mieux, un boulot que j'aime, aux horaires qui me conviennent me permettant de garder une certaine indépendance, et tout ça, à 5 minutes de vélo de chez moi. Tout simplement le paradis lui-même. Madame Léon m'invite ensuite à la suivre, pour aller me faire visiter les lieux, et me présenter à l'équipe en service. L'établissement est immense, divisé en quatre ailes distinctes : les dauphins, les étoiles de mer, les poissons et les tortues. Je prendrais poste dans cette dernière aile, réservée aux personnes assez autonomes, mais atteintes d'Alzheimer, afin de les accompagner dans les gestes simples, comme faire le lit, s'habiller ou discuter, pour les aider à trouver, et surtout garder des repères. Un travail vraiment simple, qui va me permettre de passer du temps personnel avec chacun d'eux, pour essayer de rendre encore plus agréable leur quotidien.

Voilà, pour la visite je pense qu'on est bon, je vous remets une clé du vestiaire, trois tenues, et le code de l'entrée. Vous commencez mercredi, de 9h à 15h, vous serez accompagnée pour cette première journée. Nous verrons pour vos prochains horaires à ce moment-là d'accord ? Je suis contente d'être tombée sur vous mademoiselle Rhodes, j'ai hâte de voir votre dynamisme à l'œuvre. »

Je la remercie chaleureusement et la salue, avant de rejoindre mon vélo. Le cœur plus léger à la suite de cette entrevue, je m'élance à fond sur le chemin du retour. L'air frais dans mes cheveux me fait du bien, je me sens libre, calme et posée. Le sentiment de légèreté est tel, que je ne m'arrête même pas une fois arrivée à côté de ma maison. Je continue de pédaler, longeant la falaise pour admirer le paysage. Jusqu'à ce que je tombe sur le chemin que m'a fait emprunter Hélios il y a deux jours. Emportée par une envie soudaine, je dépose mon vélo au sol, et m'avance doucement vers le sentier. J'y pose délicatement un pied, et m'apprête à faire un pas supplémentaire, lorsqu'une peur profonde s'empare de mon corps. En un instant, je suis comme figée, incapable de faire le moindre mouvement, paralysée par la terreur. La panique m'envahit tout entière, à la simple idée de rejoindre l'eau seule. Je suis en territoire inconnu, dangereux, mortel, et mon corps me le fait clairement comprendre. Je souffle un grand coup, me décoince, et recule jusqu'à atteindre mon vélo. Ma poitrine se serre à l'idée que je ne puisse plus jamais profiter de l'océan toute seule. Des larmes flouent ma vision alors que j'empoigne mon vélo. En quelques coups de pédales, je m'éloigne rapidement de cet endroit qui m'angoisse, au point que j'en perde mas capacités physiques. Je déboule rapidement dans mon jardin, et y abandonne violemment mon vélo. Je cours jusqu'à la salle de bain, et arrive juste à temps pour vomir mes tripes dans les toilettes. Comment est-il possible d'avoir si peur du rêve de ma vie ? J'ai toujours voulu vivre au bord de l'océan, et à présent que j'y suis, je suis incapable d'y mettre un pied. Est-ce une erreur d'avoir voulu venir vivre ici ? N'aurais-je pas dû rester avec mon père, en sécurité à Grenoble. Je reste encore une dizaine de minutes allongée sur le carrelage froid de la salle de bain. Puis je me relève, doucement, pour me glisser sous l'eau froide de la douche. J'essaie comme je peux d'éliminer la peur, les traces qu'elle a pu laisser en moi. Lorsque je retrouve enfin mon calme, j'enfile un t-shirt large, une culotte, et file me glisser sous mon drap, pour me blottir contre Atlas. La chaleur de son corps et ses ronronnements me font du bien, et m'apaisent. Je laisse doucement divaguer mes pensées, qui m'amènent lentement, mais sûrement, vers mon charmant voisin. Un flash traverse mon esprit, j'ai complètement oublié de lui répondre l'autre soir ! J'attrape mon téléphone, pour commencer à rédiger un message d'excuse.

J'attends la vagueOù les histoires vivent. Découvrez maintenant