J'attends la vague

Chapitre 10 : Révélations

Hélios

Soir du lundi 7 juillet

Ce repas est affreusement long, et sans intérêt. Comme d'habitude, les collègues parlent de leurs affaires du mois, discussion qui cache en réalité un concours de qui a la plus grosse. Ils sont tous plus stupides les uns que les autres de continuer à jouer à ce jeu, car ils savent tous que je suis le meilleur. Talonné par Benoit, mais le meilleur quand même. Ils m'ont du coup carrément mis hors discussion, et je suis de côté, sans personne à qui parler faute d'être un joueur trop bon pour lui. Souvent envié, mais jamais égalé je me dis pour me conforter. Ce n'est pas comme si j'avais besoin d'eux après tout. Mes pensées s'égarent vers Elena. Que peut-elle bien faire à cette heure-ci ? Je regrette tellement d'avoir refusé de la voir ce soir, ce repas me ruine le mental. La simple présence de mes collègues me sature d'informations dont je n'ai absolument pas besoin. Agacé par les mêmes paroles répétées plus au moins en boucle par chacun des membres de la table, je finis par complètement me déconnecter, en regardant discrètement mon téléphone entre mes jambes.
Je remarque aussitôt dans mes notifications qu'Elena a posté de nouvelles vidéos ce soir. Je ne peux pas résister à la tentation de cliquer dessus, mais le regret de cette action me rattrape instantanément. Erreur de débutant, je n'ai pas songé à couper le son avant de lancer la vidéo tiktok, et la douce voix chantante d'Elena sort de mon haut-parleur : ''Salut booktok ! Aujourd'hui je vais vous parler de ma dernière lecture...'' Paniqué, j'essaie par tous les moyens de couper mon son, mais rien n'y fait, le monde est contre moi et mon propre téléphone décide de me trahir, en cessant de fonctionner. Je me retrouve donc avec le son qui tourne toujours, sans possibilité de l'arrêter. Tous les regards de la table sont maintenant tournés vers moi, et la gêne me monte instantanément au visage. Ce n'est pas possible d'avoir si peu de chance dans sa vie quand même. Je croise le regard du patron, qui malgré ses yeux désapprobateurs, souris légèrement en coin. La situation l'amuse fortement, et il a hâte de voir comment je vais m'en sortir. Mais avant même que je ne puisse trouver une solution, me lance des paroles cinglantes au visage.

« —C'est donc ça que fait le grand Hélios Favre de sa vie lorsqu'il n'est pas au travail ? Il lit des romans à l'eau de rose et en écoute la critique sur tiktok ? Si j'avais su qu'il suffisait de lire des livres de cul pour être agent immobilier, je m'y serais mis plus tôt.

Je rigole intérieurement en entendant ses mots. Il est faible, incapable de m'attaquer sans me complimenter. Il est obligé de souligner ma supériorité, ce qui ne fait qu'accentuer son manque évident de capacités. Un sourire carnassier m'étire les lèvres.

—J'ai besoin de ça pour me vider la tête, quand j'entends toutes les conneries que vous balancez à la minute. Cependant Benoit, tu m'as l'air sacrément bien renseigné toi ? Tu devrais peut-être en regarder un peu moins des vidéos, ça t'aiderait à être un peu moins nul, et plus productif dans ton travail. Au moins Papa et Maman n'auraient plus besoin de venir à ton secours pour chaque affaire sur laquelle tu échoues. »

Je vois immédiatement que mes mots ont atteints leurs cibles. Malgré le fait qu'il soit bien content de se servir de l'argent de ses parents, il sait très bien qu'il est méprisé par tout le monde, car il joue à fond le rôle de fils à papa. Il s'apprête à enchainer, mais Marc à la bonne idée de le retenir en posant une main sur son épaule. Qui sait, ce fou serait capable de me sauter au visage, juste pour avoir le dernier mot. Je le vois grimacer, agacé de ne pas pouvoir parvenir à ses fins. Je sais qu'un jour ou l'autre, il va finir par me tomber dessus. Je ne m'explique toujours pas ma méfiance à son égard, ni son comportement agressif envers moi. Toujours de la jalousie, toujours de la colère, toujours de l'agression. Comme s'il y avait quelque chose d'autre sous la surface pourrie de son esprit, qui en avait après moi, pour une raison que j'ignore complètement. Et je ne sais même pas si j'ai vraiment envie de savoir quel est le problème.