Chapitre 13

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"Ici c'est le patio. Les gens y viennent pour un brunch ou juste pour se rencontrer et parler de la décoration, pour finalement prendre un petit four salé puis un autre et encore un autre."

Un autre sentier menait vers un nouveau décor où les fleurs et la tendresse n'y était plus. Deux matières dominaient: le fer et le bois. Le fer était peint d'un noir intense et l'autobloquant que les filles piétinaient était d'un léger taupe. On avait déjà une certitude: le matérialisme hantait ce lieu et n'était pas prêt d'être chassé par les orchidées. Les pieds de table formaient de belles boucles, qu'on croyait sentir la sueur des forgerons glisser le long du fer chaud puis s'évaporer petit à petit malgré celui-ci, difficile à forger. Au-dessus, de magnifiques couverts se dressaient sur le pin traité: deux assiettes se superposaient, une grande céramique de couleur plomb et une plus petite au-dessus mais vermillon. Même le verre à eau, en tête de piste, fut en céramique émaillée d'un ton lin. Cet ensemble fut encadré par fourchette, cuillère et couteau en acier inoxydable d'une nuance anthracite. Un visionnage plus fouillé accordait la vue à de nombreux détails comme les pots géométriques et les tableaux aux couleurs harmonieuses. On y trouvait le jaune curry, le vert Niagara, le laiton et un orange assez spécial des années 1950. Ces pots et vases ne contenaient que des plantes paradisiaques comme: le yucca, l'oiseau de paradis, le bambou de la chance et le palmier. Au mur s'accrochait une encombrante montre aussi en bois à la numération romaine d'un noir profond et avec des motifs de feuilles de monstera. Ce cadre brut laissait un message à travers sa vaisselle, son choix de couleur, la matière utilisée et même sa petite jungle, que vous avez opté entièrement pour le style industriel.

-"Avez-vous engagé plusieurs paysagistes et architectes?" demanda Lilith.
-"Non, nous n'avons engagé qu'un seul durant les deux années de construction mais il s'est plié à toute les volontés de Madame jusqu'à la fin."
-" Il a dût bien s'en remplir les poches alors!"
-"Oh oui, c'est certain. Madame change beaucoup de goût au fil du temps, elle est très imprévisible."
-" Comment ça?"
-" Tu verras, là où je t'emmènerai." dit Ruffine en faisant un clin d'œil.

Lilith et Ruffine se présentèrent encore une fois dans un nouveau lieu, mais surtout un nouveau décor où il y avait davantage de clients.
-"Et voici le hall principal, tu dois sûrement t'en souvenir."
Le décor était simple et tendre comparé aux deux précédentes. Il n'y avait que de la rose, du dahlia et du lilas pour embellir la salle. Les meubles étaient chic et recherchés, de même pour les tapis et les babioles. Mais c'était la vaisselle et le service qui cassaient ce charme divin; entre porcelaine et fer émaillé, entre blanc premium et vert d'eau, et entre grossier et aimable, un mélange suffisamment audacieux. Cette ornementation laissait Lilith interdite jusqu'à ce que Ruffine tapote son épaule en disant:
-" Bientôt tu t'occuperas de tout ça mais laisse moi d'abord te présenter quelqu'un."
Elles se dirigèrent vers une jeune demoiselle en train de servir de délicieux palets bretons à des vieux monsieurs qui jouaient joyeusement aux cartes, installés dans des fauteuils crapaud.
-" Lilith, je te présente Kanty." Ruffine lui présenta une jeune serveuse qui était plus petite confronté à Ruffine, Inès et Lilith elle-même. Le teint cuivré, les cheveux noir lisse et des petits yeux bridés, elle était sûrement métisse.
-"Kanty, voici Lilith, notre nouvelle recrue."
Elles se saluèrent ensuite en même temps.
-"Bien, les présentations sont faites, vous ferez plus ample connaissance ce soir. Lilith, il est temps que je te montre les cuisines."
Ruffine l'emmena vers les cuisines où Lilith fut médusée de voir que plusieurs services à thé et autres ustensiles étaient en argent. À priori, elle croyait que c'était des faux mais après une longue observation, elle prit conscience de leur authenticité.
-" Dis-moi Ruffine, utilisez-vous ces tasses et ces autres couverts pour servir les clients?" demanda Lilith, pantoise.
-"Oui, nous les utilisons spécialement pour le thé de quatre heures."
-" Et n'avez-vous pas peur qu'on les vole?"
-" Non, pas du tout." répondit Ruffine calmement.
-"Pourtant il ne semble y avoir une quelconque forme de surveillance ici." dit Lilith, pensive
-" Tu as raison, nous ne pouvons plus compter sur la force humaine pour protéger notre fortune et notre restaurant. Plus personne n'ose nous voler ne serait-ce qu'un morceau de sucre depuis ta tante."
-" Comment ça depuis ma tante?!"
-"Tu comprendras plus tard." répondit Ruffine en faisant un signe de la main disant d'abdiquer."

Le temps passa vite et le soleil commença à s'adoucir, Ruffine ramena Lilith dans sa chambre:
-" Nous allons nous arrêter là pour aujourd'hui, tu commenceras ton service dès demain tout en continuant la visite. Le dîner est à vingt heures précise, je viendrai te chercher. D'ici là tu pourras t'installer tranquillement."
Ruffine ferma ensuite la porte derrière elle en laissant Lilith avec ses valises, sa table de chevet et son pot de chambre.

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