Judith soupira de soulagement en apercevant Ben et Sacha à l'autre bout du quai, adressant de grands signes dans leur direction. Elle n'était pas certaine qu'il viendrait, il était resté évasif en lui signifiant qu'il avait du travail et qu'il ferait en sorte de se libérer. Revoir ses hommes après ces quinze jours de séparation lui donnait du baume au cœur. Quelque part, elle était également soulagée de ne pas devoir prendre le métro avec tout son chargement. César n'aurait pas pu être son sauveur cette fois, il était parti quelques jours avec Ella et Inès. Quoi qu'il en soit, il n'était pas son mari, ce n'était pas son rôle.
Sacha sauta dans les bras de sa maman. Elle savoura cette étreinte et déposa un baiser dans ses boucles brunes. Si Astrée semblait contente de voir son frère, elle observait son père, une moue plutôt indifférente scotchée sur le visage. Ben ne se formalisa pas et la détacha de son fauteuil pour la serrer contre lui. Malgré leur difficulté à nouer des liens, sa fille lui avait manqué. La petite réclama vite les bras de son grand frère, ce qui sembla peiner Ben. Judith se nicha dans ses bras comme pour le réconforter et ils s'embrassèrent furtivement.
- Je vous emmène manger ?
Astrée, qui n'avait pas perdu une miette de la conversation, agita ses petites mains pour signer « frites ». Elle connaissait quelques mots en langue des signes qu'elle savait utiliser à très bon escient. Judith approuva l'idée, la nourriture n'était pas le point fort du centre de rééducation. L'endroit était très excentré et éloigné de tout, et non véhiculée sur place, elle ne pouvait pas se permettre d'aller manger à l'extérieur. Astrée n'eut pas gain de cause cette fois-ci, la famille se dirigea vers le restaurant chinois le plus proche, à la demande de Sacha. Assise sur le siège passager de la voiture, Judith observait Ben du coin de l'œil. Son mari était muré dans le silence et perdu dans ses pensées. D'une oreille, elle écoutait distraitement Sacha qui débitait un flot de paroles intarissables. Elle hésita à demander à Ben à quoi il songeait, avant de se raviser. Quelle importance ? Dernièrement, il semblait toujours ailleurs. Elle était heureuse de le retrouver, sans pouvoir nier que ce n'était plus aussi fort qu'avant. Une nouvelle fois, ce constat lui serra le cœur.
Des pensées insidieuses vinrent troubler sa contemplation. Le sourire de Roman, le thérapeute tchèque, revenait un peu trop souvent à son goût s'immiscer dans son esprit. Elle ne comprenait pas bien la raison de ces pensées qui ne lui laissaient presque pas de répit, il ne s'était pourtant rien passé de particulier entre eux, mises à part les séances de balnéothérapie quotidiennes. Le dernier jour, il l'avait fixée de son regard bleu intense en lui disant qu'il espérait la revoir. Leurs mains s'étaient légèrement frôlées. Un peu troublée par ce contact bref, elle n'avait pas imaginé qu'il monopoliserait ses songes après son départ.
Ben se détendit légèrement une fois tous installés au restaurant. Plus souriant, il semblait s'intéresser sincèrement au séjour de Judith et Astrée. Le moment était léger, Judith fut ravie de retrouver l'ambiance d'avant le départ pour le centre. Elle savourait ce délicieux repas entourée de ceux qu'elle aimait le plus, mettant de côté les pensées qui venaient parasiter son esprit.
La semaine était passée bien vite, laissant place à un week-end que Judith attendait avec impatience. Inès avait proposé de prendre Sacha et Astrée pour la nuit, afin que Judith et Ben puissent se reposer et passer du temps tous les deux. Ce n'était pas arrivé depuis la naissance d'Astrée. Judith appréhendait autant qu'elle avait hâte. Son état d'esprit ressemblait à un mélange de sentiments confus, et les images de Roman qui revenaient sans cesse ne l'aidaient pas. Elle tentait de se persuader que c'était sans importance, que passer du temps avec son mari lui ferait le plus grand bien.
Ben était une nouvelle fois rentré à une heure indécente du studio la veille. Il végétait sur le canapé, pendant que Judith se préparait dans la salle de bain. Elle avait relevé ses cheveux bouclés en un chignon haut laissant s'échapper quelques mèches, s'était maquillé légèrement et avait opté pour une robe fleurie simple mais qui la mettait en valeur. Une paire de collants opaques et des bottines à talon venaient compléter sa tenue. Les yeux rivés sur Ben en survêtement à moitié endormi sur le canapé, elle se demandait si cette sortie lui faisait autant plaisir qu'à elle. Finalement, cela ne changeait pas grand-chose pour lui, qui sortait toujours au grès de ses envies, enfants ou pas. Cette injustice l'agaça profondément. Elle s'efforça de penser à autre chose, pour ne pas gâcher le moment. Ben posa un regard endormi sur elle, dans lequel elle n'eut pas l'impression de déceler d'émotion particulière.
- Tu es sûr que tu as envie de sortir ?
Il se frotta les tempes en soupirant. La réponse à cette question était probablement « non », mais elle n'était pas prête à l'entendre.
- Ouais. Laisse-moi quelques minutes et on décale. Ok ?
Déçue par le manque d'enthousiasme de Ben, elle prit sur elle une fois de plus pour ne pas envenimer la situation. Il disparut quelques minutes dans la salle de bain, et se présenta devant elle avec une tenue plus adaptée pour sortir.
- T'es beau.
Elle en pensait chaque mot. Après toutes ces années, la lassitude des derniers mois, la rancœur et la déception qu'elle pouvait parfois ressentir, ses yeux brillaient toujours de la même manière quand elle le regardait. Il s'approcha d'elle et la serra contre lui.
- Toi aussi t'es canon. Je ne prends même plus le temps de te le dire.
Touchée par ses paroles, elle enfouit son visage au creux de son épaule.
- On y va ?
Installés l'un en face de l'autre dans un petit restaurant intimiste, ils mangeaient silencieusement, chacun semblant perdu dans ses pensées. Le comportement de Ben était un peu étrange depuis son retour du centre. Judith se demandait à quoi il pouvait bien penser, il avait l'air de chercher à éviter toute conversation. Quand elle avait tenté d'entamer le dialogue, il avait rapidement coupé court. Elle s'était retenue toute la soirée pour qu'ils profitent de se retrouver tous les deux, mais elle se demandait sincèrement de quoi ils profitaient à ce moment précis. Ils étaient murés dans le silence, comme deux inconnus. Lasse de marcher sur des œufs, elle décida de mettre les pieds dans le plat. Quoi qu'il advienne, cela ne pouvait pas être pire que le vide abyssal qu'ils s'infligeaient déjà.
- Ben.
Il releva les yeux de son assiette et lui lança un regard interrogateur.
- Tu vas me dire ce qu'il se passe ?
Il hésita à nier en bloc et à répondre que tout allait bien, mais il savait au fond qu'elle n'en croirait pas un mot. Il voyait dans son regard qu'elle était déterminée à poser cartes sur table ce soir, il n'avait plus vraiment le choix.
- Je... Je vais partir.
- Partir ?
- Au Japon. Trois mois.
Judith sentit le sol se dérober sous ses pieds, et une colère sourde monter en elle. Les lèvres de Ben bougeaient pour formuler des explications, pourtant elle ne l'entendait plus. Elle déploya des forces surhumaines pour ne pas lui balancer son assiette à la figure, et quitta le restaurant sans un mot, abandonnant son repas à peine entamé. La mort dans l'âme, elle arpentait les rues animées avec une terrible envie de hurler. L'image de Roman était bien loin à présent. Elle voyait son mariage voler en éclats, à cause de l'égoïsme de cet homme qu'elle aimait et qui était incapable de faire passer sa famille avant ses propres désirs. Elle avait envie de crier la vérité à tous ces couples amoureux qui marchaient en se tenant la main et en se jetant des regards complices : profitez, ça ne va pas durer. Ou peut-être qu'eux auraient de la chance, peut-être était-ce juste son mariage à elle qui était bancal. Peut-être que Ben ne l'avait épousée que par obligation, après tout elle s'était retrouvée enceinte sans l'avoir prévu.
Elle finit par rentrer chez elle après plusieurs heures à déambuler là où ses pas la menaient. La colère s'était un peu estompée, elle était maintenant totalement perdue. Imaginer un avenir sans Ben était inconcevable quelques mois auparavant, désormais elle l'envisageait de plus en plus. Cette comédie ne pourrait pas durer éternellement.
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Tome 2 - Après le feu
Любовные романыTome 1 - Le feu est en toi Tome 2 - Après le feu Il est nécessaire d'avoir lu le premier tome pour comprendre cette histoire. « La vie ne serait pas toujours si rose... Les contes de fée n'existent pas, personne ne vit heureux jusqu'à la fin des te...