Chapitre 5

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Judith s'installa face à la plage, ses écouteurs enfoncés dans les oreilles et inspira une grande bouffée d'air marin. Le centre de rééducation avait l'avantage de se trouver en bord de mer, à cinq minutes à pieds de la digue. Elle avait pris l'habitude de venir se ressourcer ici tous les jours, comme un petit rituel. Elle avait exactement quarante minutes devant elle avant de retourner au centre pour récupérer Astrée après sa séance de kinésithérapie d'une heure, faire le point avec sa thérapeute, et l'emmener à la piscine du centre pour sa séance de balnéothérapie. Les journées étaient bien rythmées, mais elle appréciait ces séjours loin de tout. Elle avait du temps pour elle lorsqu'Astrée était en thérapie, elles pouvaient toutes les deux profiter de la mer et du cadre agréable des alentours, et la petite fille était si fatiguée en fin de journée qu'elle s'écroulait de sommeil sans demander son reste. Le plus difficile était l'absence de Sacha. Son fils lui manquait terriblement malgré les nombreux appels en visio échangés durant les deux semaines. L'absence de Ben s'avérait moins difficile à gérer. Ce constat la rendait un peu triste, mais ses absences répétées avaient fini par créer une forme d'habitude. Elle n'en n'était plus à attendre avidement son retour, la lassitude ayant eu raison de sa patience.

Les progrès constatés après chaque passage au centre la confortaient dans son désir de l'y emmener le plus souvent possible, contre l'avis de l'équipe qui suivait Astrée à Paris et qui estimait que ces centres de thérapie intensive étaient trop épuisants pour l'enfant. Judith ne se laissait jamais impressionner par ces médecins qui pensaient détenir la vérité absolue. En règle générale, elle avait peu confiance en elle, mais lorsqu'il s'agissait de ses enfants, elle était guidée par une sorte d'instinct surdéveloppé qu'elle suivait sans hésiter, à tort ou à raison.

Judith ne s'était pas trompée au sujet de la soirée qui avait précédé leur départ, la vie avait repris son cours exact. Ben avait filé au studio aux aurores, sans proposer de les accompagner à la gare. César s'en était gentiment chargé, pour lui éviter de prendre les transports en commun bondés avec sa grosse valise et la petite fille en fauteuil roulant. Depuis une semaine, ils n'avaient échangé que quelques messages banals, il semblait toujours aussi distant lors de leurs appels Facetime. Il laissait Sacha monopoliser la conversation et écoutait le récit de leurs journées, puis les embrassait de loin toutes les deux avant de vaquer à ses occupations. Tous les appels se suivaient et se ressemblaient.

Judith se sentait parfois responsable de l'échec de leur couple. Tellement accaparée par son rôle de mère, elle en oubliait tout le reste. Elle consacrait moins de temps à Ben, parlait énormément d'Astrée lors des rares moments où ils se retrouvaient seuls, et était si fatiguée que l'idée même de faire l'amour lui semblait parfois être une corvée. Elle n'avait pas voulu en arriver là, elle croulait juste sous le poids des responsabilités du quotidien. Devenir parent était toujours source de grands bouleversements, encore plus à l'arrivée d'un enfant malade ou handicapé.

L'heure étant passée à toute vitesse, elle se dépêcha de regagner le centre pour rejoindre Astrée en salle kiné. Elle avait fait du bon travail, et son cœur de maman se gonfla de fierté en la voyant faire quelques pas à quatre pattes.

- Bravo mon amour. Tu es trop forte !

La petite fille battit des mains énergiquement, contente de retrouver sa maman et fière de lui montrer ses exploits.

- Et maintenant, direction ton moment préféré de la journée. La piscine !

Judith enfila son maillot de bain à une Astrée surexcitée à l'idée d'entamer son activité favorite.

- Comment va ma petite patiente préférée ?

- Oh, elle va bien ! Elle est intenable, elle a hâte d'être dans l'eau.

Judith s'assît en tailleur sur les petites marches de l'autre côté du bassin. La séance ne durait que trente minutes, ce qui ne lui laissait pas vraiment le loisir de faire autre chose en attendant. Elle aimait regarder sa fille s'amuser dans l'eau, voir son visage souriant et son petit corps détendu lui réchauffait le cœur. Roman soulevait Astrée pour la faire plonger dans l'eau, et la petite fille riait aux éclats, sous l'œil attendri de sa maman.

Roman était un thérapeute de République Tchèque arrivé récemment au centre, qui se débrouillait déjà très bien en français. C'était la première fois qu'il s'occupait d'Astrée. Il lui avait paru un peu froid au début, puis s'était détendu au fil des jours. Judith ne pouvait pas nier qu'elle le trouvait très attirant avec sa carrure athlétique, ses grands yeux bleus et son sourire charmeur. Elle ne perdait pas de vue qu'elle était mariée, mais ne s'interdisait pas de discrets regards appréciateurs. Pour ne rien gâcher, il prenait soin d'Astrée et la faisait rire, cela ne lui ajoutait que davantage de qualités. La séance passa à la vitesse de la lumière. Astrée émit quelques cris désapprobateurs au moment de sortir de l'eau, comme tous les jours.

- Allez chaton, tu sais que c'est terminé.

- On se revoit lundi Astrée. Moi aussi je voudrais continuer plus longtemps avec toi, mais je ne peux pas.

La petite fille le regarda avec une moue triste, mais il ne céda pas et la replaça dans les bras de Judith.

- Elle a fait beaucoup de progrès depuis le début de la semaine. Elle est plus détendue, plus précise dans ses mouvements. Vous pouvez être fière.

Judith lui sourit et le remercia chaleureusement.

Les thérapeutes se montraient toujours bienveillants et positifs dans ce centre, elle était souvent gonflée à bloc en rentrant à Paris, convaincue qu'elle faisait au mieux pour le bien de son enfant.

Astrée semblait fatiguée de sa semaine. Il n'y avait pas de secret, les progrès se faisaient toujours au prix d'énormes efforts. Elle se souvenait de ses longues sessions en rééducation quand elle avait elle-même du réapprendre à marcher après son accident. Cela la rendait d'autant plus fière et impressionnée par le courage de sa fille, qui devait sans cesse se battre du haut de ses quatre ans. Judith regagna sa chambre et proposa à Astrée un jeu qu'elle aimait pour lui changer les idées après cette journée difficile.

- Pa... pa... A... Ca.

Judith avait bien évidemment le décodeur pour comprendre sa fille. Papa, Sacha.

- Tu veux téléphoner à Papa et à Sacha ?

- Iiiii.

- Ok. Ils vont être contents de t'entendre.

Judith lança un Facetime et le visage contrarié de Ben apparut à l'écran. Elle reconnut au premier coup d'œil l'environnement autour de lui, il était au studio.

- Bonjour mes chéries.

- Pa... pa. A... Ca ?

- Je ne suis pas avec Sacha mon cœur. Il est avec tatie Inès si tu veux l'appeler. Je dois vous laisser, je travaille. On se rappelle plus tard ?

- Ouais. A plus.

Judith imita Astrée qui faisait des signes de la main à son père, et raccrocha sans plus de cérémonie, la mort dans l'âme. Il n'avait même pas pris la peine de demander comment s'était passée la journée, comment elles allaient. L'indifférence et le détachement qu'il affichait l'amenaient de plus en plus à se questionner à propos de leur avenir.


Tome 2 - Après le feuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant