Chapitre 24

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La fin de l'histoire était arrivée. Contrairement aux contes de fées, ils ne vécurent pas heureux jusqu'à la fin des temps. Elle trouverait le bonheur malgré tout, entourée de ses amis et de ses enfants, leur donnant tout l'amour dont on peut rêver, sans jamais faillir.

Ils avaient rendez-vous cet après-midi au tribunal avec les avocats, le divorce serait bientôt prononcé. Le hasard avait voulu qu'il ait lieu aujourd'hui, un dix-neuf octobre. Exactement cinq ans plus tôt, ils célébraient leur mariage. Le destin pouvait se montrer parfois cruel. Fêter son cinquième anniversaire de mariage avec un rendez-vous pour demander le divorce, avait quelque chose d'assez dramatique.

Judith s'arma de tout son courage pour se préparer. Le nœud dans son estomac l'empêchait quasiment de respirer. Elle avait beau avoir espéré au fond d'elle jusqu'au bout, elle devait se rendre à l'évidence. Tout prendrait symboliquement fin aujourd'hui. Elle prit une grande inspiration pour se donner la force, jetant un dernier regard à son reflet dans le miroir. Ses cernes et son visage marqués par la fatigue trahissaient une bien courte nuit, entrecoupée par des pensées qui tournaient en boucle. Elle avait tenté de se raisonner, de se dire que le plus dur était derrière eux, qu'ils étaient déjà séparés depuis des mois. Pourtant, son cœur se brisait à la seule évocation du mot « divorce ». Cela rendait les choses officielles, irréversibles.

Elle avait emporté dans une petite pochette l'alliance de Ben, qu'il avait laissée sur la table de la chambre lors de leur dispute au centre de rééducation. Elle l'avait malgré tout conservée précieusement pendant tout ce temps. Elle avait décidé de la lui rendre, il en ferait ce qu'il voudrait. La mort dans l'âme, elle referma la porte de son appartement et descendit fébrilement les escaliers. Le moment était venu, ils ne pouvaient plus reculer.

Le dernier chapitre était achevé, le mot fin écrit au bas de la page.

Mais Judith avait oublié une chose. Après le chapitre final, vient toujours l'épilogue.

Il était là, devant la porte de l'immeuble, tenant entre ses mains un énorme bouquet de fleurs. Des pivoines roses et blanches, ses préférées. Les mêmes qui ornaient son bouquet de mariage, cinq ans plus tôt. Elle resta plantée là quelques instants, incertaine quant à la signification de ces fleurs. Il lui semblait si improbable qu'il les lui offre dans de pareilles circonstances, qu'elle se demanda un instant si ces fleurs n'étaient pas destinées à Chloé. Il lui tendit le bouquet, mettant fin à ses doutes.

- Joyeux anniversaire.

Était-elle en train de dormir et de nager en plein rêve ? Avait-elle rejoint un univers parallèle dans lequel les derniers mois n'avaient pas existé ? Il posa sa main libre sur la sienne et plongea son regard dans ses yeux gris. Ce contact physique l'aida à revenir sur terre. Non, elle ne rêvait pas. Tout cela était bien réel. Elle se trouvait dans un tel état de sidération qu'elle n'arrivait pas à prononcer le moindre mot. Son corps était comme figé, elle n'entendait plus le bruit de la rue et ne voyait plus les passants qui pressaient le pas sur le trottoir.

- Ju... Ça fait des semaines que je ne dors plus, que ça tourne en boucle dans ma tête...

Sa voix se brisa. Il prit une grande inspiration, avant de reprendre.

- Je sais que c'est trop tard et que tu vas partir à Prague avec Roman. Si c'est vraiment ce que tu veux, je ne m'y opposerai pas. Mais je veux me battre pour nous. Je pensais que je n'étais pas capable de surmonter tout ça, j'étais bouffé par la jalousie et la rancune. J'avais tort. La seule chose que je suis incapable de surmonter, c'est la vie sans toi, sans vous. Je t'aime et je suis désolé d'avoir pris autant de temps pour le réaliser.

Judith n'était pas certaine d'avoir bien entendu. Elle s'était préparée avec toutes les peines du monde à aller officialiser leur divorce, et elle se trouvait désormais face à un énorme bouquet de fleurs et des belles promesses. Elle était toujours figée, incapable de parler. Le regard de Ben était ancré dans le sien. Elle aussi avait envie de se battre pour eux, elle aussi avait du mal à concevoir une vie loin de lui, même après toutes ces épreuves. Surtout après toutes ces épreuves. Elle l'avait toujours su, il était l'amour de sa vie.

Tout cela se passait bien de mots. Elle connecta son regard au sien, avec la certitude que les mauvais jours étaient loin derrière. Elle embrassa ses lèvres avidement. Le bouquet tomba lourdement au sol et les bras de Ben se refermèrent sur son corps tremblant. Il ne leur fallut que quelques secondes pour remonter les trois étages qui les séparaient de l'appartement. Les vêtements tombèrent sur le sol, et les corps brûlants se rencontrèrent sous les draps. L'amour avait retrouvé le chemin de la maison.

Les téléphones vibraient et sonnaient autour d'eux, les avocats tentaient de les joindre, inquiets de ne pas les trouver au rendez-vous. Ils laissaient sonner dans le vide, profitant de cet instant rien qu'à eux. Le monde aurait pu s'écrouler, ils ne se seraient pas lâché une seule seconde pour autant.

Allongés l'un contre l'autre, la tête de Judith reposait sur le torse de Ben. Elle caressait sa peau nue, et fermait les yeux en respirant cette odeur familière qui lui avait tant manquée. Les doigts de Ben se promenaient dans ses boucles brunes. Il regardait le plafond, pensif.

- Ne pars pas.

Elle se redressa pour lui faire face.

- Je n'ai jamais eu l'intention de partir.

Ce fut à son tour de se retrouver sans voix.

- C'est fini depuis des semaines. Je n'ai jamais eu l'intention de suivre Roman à Prague. Je pensais que tu l'avais compris.

Dans un soupir de soulagement, il l'embrassa longuement.

- Ben... Je te demande pardon. Je sais que ce qui s'est passé avec Roman t'a blessé.

- Si c'est du passé pour toi, ça l'est aussi pour moi.

Judith hocha la tête, rassurée. Elle savait que son mari aurait besoin de temps pour digérer ce qu'il avait considéré comme une trahison, mais elle était heureuse de constater qu'il souhaitait laisser cette histoire derrière eux.

Ben quitta la chambre pour se rendre dans la salle de bain. Il avait besoin de se rafraîchir un peu, avant d'appeler sa sœur et avocate pour la prévenir qu'ils avaient changé d'avis. Elle devait sûrement être morte d'inquiétude de ne pas les avoir vu arriver ce matin, sans compter qu'aucun des deux ne répondait à ses appels. Pendant qu'il passait ce rapide coup de téléphone, un petit bijou déposé dans la coupelle près de l'évier attira son attention. L'alliance de Judith.

Il regagna la chambre à la hâte, comme s'il avait peur que Judith ne soit en train de s'enfuir. Elle était toujours là, assise sur le rebord du lit. Elle avait emprunté son t-shirt, habitude qu'elle n'avait visiblement pas perdue.

- J'ai appelé ma sœur pour la prévenir. C'est bizarre, elle n'était pas surprise. Apparemment, elle était persuadée depuis le début qu'on n'irait pas au bout de ce divorce. Et elle nous souhaite un bon anniversaire du coup.

Judith sourit. Lina avait vu juste. Ben vint s'assoir près d'elle sur le lit.

- Il y a cinq ans, on s'est fait la promesse de s'aimer, en dépit de tout ce qui pourrait nous arriver. C'est la seule promesse que j'ai tenue. Pour le reste, je t'ai laissé tomber. J'ai pris conscience des choses, et aujourd'hui, je suis prêt à être un meilleur mari pour toi, un meilleur père pour nos enfants. Je te promets d'être à tes côtés la nuit pour bercer Astrée pendant que tu dors, d'être là aux rendez-vous médicaux, de passer moins de temps au studio. Cette fois-ci c'est la bonne, on vieillira ensemble. Je veux être à la hauteur, et je ferai tout pour.

Il sortit de sa poche l'anneau serti de diamants retrouvé dans la salle de bain.

- Judith Semaan, accepterais-tu de ne pas divorcer ?

Judith hocha positivement la tête, ses yeux plongés dans les siens. Il attrapa doucement sa main pour y glisser l'anneau. Il essuya délicatement une larme d'émotion qui tombait sur sa joue.

- Attend.

Elle attrapa son sac jeté un peu plus tôt négligemment près du lit, et en sortit une petite pochette en soie.

- Je t'aime. Et je n'ai jamais trahi cette promesse, quoi qu'il ait pu se passer. Je ne veux pas divorcer, ni aujourd'hui, ni jamais.

Elle passa à son tour l'anneau au doigt de Ben.

Leurs mains s'entrelacèrent et ils passèrent des heures à s'embrasser, comme pour rattraper le temps perdu. Une nouvelle vie commençait. Et pour la première fois depuis longtemps, ils se sentaient à nouveau complets.

Tome 2 - Après le feuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant