Chapitre 9

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Une semaine entière s'était écoulée depuis le départ de Ben. Judith n'avait pas vraiment eu le temps de s'ennuyer de lui, débordée entre son travail et ses enfants. Elle était forcée d'admettre que cette nouvelle organisation ne lui déplaisait pas. Comme elle l'avait confié à César le soir du départ de Ben, elle se sentait plutôt soulagée, délestée de ses incertitudes autour de sa présence. Son mari n'était plus là, et elle avait la sensation d'un poids en moins sur les épaules. Ce constat était assez effrayant : Ben ne lui manquait pas. Judith mettait cela sur le compte de l'habitude, en sachant pertinemment au fond d'elle que le problème était plus profond. Elle balaya rapidement ces pensées maussades de son esprit pour se remettre au travail. L'heure de récupérer les enfants arrivait à grands pas et elle devait encore boucler une tonne de paperasse pour Léonard. Elle soupira longuement avant de se préparer un thé et ainsi éviter de s'endormir sur sa pile de documents. Travailler depuis la maison était sans conteste un confort appréciable, mais Judith était parfois tentée de faire mille autres choses à la place de ses tâches prévues.

Un peu plus tard dans la journée, alors qu'elle disposait le goûter sur la table et installait Astrée dans sa chaise adaptée, elle observait Sacha du coin de l'œil. Le petit garçon était maussade depuis le départ de Ben, même s'il ne s'en plaignait pas ouvertement. Habituellement si jovial, son fils ne retrouvait le sourire que lors des visites de César. Judith avait beau être la meilleure mère possible, ce n'était pas toujours suffisant. Sacha avait clairement besoin d'une présence masculine. Il mangeait sa tartine, les yeux dans le vague.

- Sacha, tu as envie d'appeler Ben ?

Il haussa les épaules.

- Je ne veux pas l'embêter.

- Tu ne l'embêtes pas. Il a dit que tu pouvais appeler à n'importe quel moment.

- Quelle heure il est au Japon ?

- Minuit. Tu ajoutes sept heures à l'heure d'ici.

- C'est pas tard ?

- Ça m'étonnerait que Ben dorme déjà, tu sais comment il est. Il ne s'arrête jamais... Et puis, tu ne devrais pas avoir si peur de le déranger, tu lui manques tu sais. Il sera content de t'entendre.

Sacha hocha la tête et tendit le bras pour saisir le téléphone de Judith. Ben décrocha au bout de quelques sonneries. Son visage mît quelques secondes avant d'apparaître à l'écran, la connexion n'étant pas toujours très stable. La vidéo se lança sur un Ben aux traits tirés, l'air passablement fatigué.

- Ben !

- Comment tu vas mon Sacha ?

- Bah, ça va. J'mange mon goûter alors tout va bien.

Ben ne put s'empêcher de sourire face au spectacle du petit garçon qui se régalait avec ses traces de chocolat autour de la bouche. Au fur et à mesure de leurs échanges, Judith voyait le visage de son fils s'éclairer.

- Bon, je te laisse. J'ai plein de devoirs à faire.

- Ok, tu me passes ta mère ?

- Tu m'appelleras bientôt ?

- Oui, promis. Et toi, n'oublie pas que tu peux m'appeler quand tu veux. A n'importe quelle heure. Même si c'est la nuit chez moi.

Sacha hocha la tête et redit au revoir à Ben, avant de passer le téléphone à sa maman.

- Salut.

- Salut. Il était impatient de te parler.

- Ça en fait au moins un.

Judith soupira en recevant cette remarque et s'assura que Sacha ne soit plus dans la pièce avant d'y répondre.

- Ne viens pas sur ce terrain-là, s'il te plaît.

- Pourquoi, tu vas me dire que ce n'est pas la vérité ? Ça fait une semaine que je suis parti, si je ne t'écris pas, tu ne m'écris pas et quand j'appelle, tu es toujours occupée avec la petite. C'est à peine si j'existe encore à tes yeux. Si je n'avais pas demandé à Sacha de te passer le téléphone, est-ce qu'on se serait même parlé ?

Judith sentit son corps se crisper, exaspérée par la tournure que prenait la conversation.

- Et donc, qu'est-ce que tu attends de moi au juste ? C'est toi qui as décidé partir je te rappelle, ne me demande pas de me conduire en femme éplorée.

Ben se frotta les tempes en fermant les yeux en signe de contrariété. Conscient qu'il ne pouvait pas avoir le beurre et l'argent du beurre, il était malgré tout peiné de constater l'absence d'émotion de sa femme en réaction à son départ.

- Ce n'est pas ce que j'ai dit.

- Écoute, on était supposés prendre du recul. Je sais que c'est compliqué, mais j'aimerais que tu respectes mes réactions, je fais de mon mieux étant donné la situation.

- Ouais.

- T'as l'air fatigué ?

- Un peu. Je ne dors pas beaucoup. Le projet nous bouffe pas mal de temps.

Ben se gardait bien d'avouer que les rares instants de repos qu'il s'accordait ne lui permettaient pas de trouver le sommeil, tant il était accaparé par ses pensées sombres. Il lui semblait malvenu de se plaindre, Judith n'aurait pas manqué une nouvelle fois de lui rappeler qu'il était le seul responsable de l'état actuel des choses.

- Et toi, comment tu vas ?

- Plutôt bien.

- Ma... Ma... Ma...

Judith ne fut pas mécontente d'être interrompue dans cette conversation gênante par Astrée qui la réclamait. Elle extirpa la petite fille de son siège pour la prendre sur ses genoux. Elle pointa du doigt le téléphone.

- Pa... Pa... Pa.

- Oui mon cœur, c'est papa. Tu me manques. Sois sage avec maman, d'accord ?

Astrée décida de ne pas répondre à son père, signant la fin de cet appel. Judith et Ben se dirent au revoir froidement avant de raccrocher. Cet échange tendu lui avait laissé un arrière-goût plutôt amer, malgré cela, elle se sentait incapable de faire le moindre pas vers Ben.

Judith fut interpelée par un message qui s'affichait en non lu sur WhatsApp. Gênée par une discussion de groupe qui n'arrêtait pas de faire sonner son téléphone, elle avait désactivé les notifications de l'application quelques semaines auparavant. Elle ne l'utilisait que pour les appels avec Ben depuis son départ au Japon, elle n'avait donc pas pris connaissance de ce message, qui avait été expédié deux jours plus tôt.

« Bonjour Judith, c'est Roman. Je me suis occupé de la balnéothérapie pour Astrée lors de son séjour au centre. Je voulais vous contacter pour vous demander votre accord pour inclure Astrée dans un mémoire sur les bénéfices de la balnéothérapie chez les enfants en situation de handicap. Le directeur du centre m'a dit que vous reveniez dans trois mois. Il y aurait quelques photos, vidéos et exercices supplémentaires pour faire une comparaison. Est-ce que vous seriez d'accord pour le principe ? Amitiés. Roman »

Judith était à chaque foisimpressionnée en lisant ce français impeccable, lui qui ne parlait pas encorela langue quelques années en arrière. L'initiative lui paraissait intéressante,si cette étude pouvait démontrer que la balnéothérapie avait toute sa placedans la prise en charge des enfants comme Astrée, ça ne pouvait qu'êtrepositif. Pour ne rien gâcher, il s'agissait de Roman, qui était aussi beauqu'adorable. Elle n'avait pas oublié les pensées inappropriées qui lui avaienttraversé l'esprit quand elle était revenue du centre, mais ses problèmes avec Benavaient vite balayé ces considérations futiles. Elle n'y avait presque jamaisrepensé jusqu'à maintenant. Même si ce contact se voulait purementprofessionnel de la part du thérapeute, Judith ne put s'empêcher de ressentircomme un picotement dans le cœur. Elle préféra ignorer ce sentiment quil'assaillait à son corps défendant, et répondit par l'affirmative à lasollicitation de Roman

Tome 2 - Après le feuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant