C'était une journée comme une autre, un matin de septembre. Les températures étaient encore estivales, le soleil donnait dans l'appartement et diffusait une agréable chaleur par les fenêtres ouvertes. Judith était occupée à la cuisine quand elle entendit Sacha l'appeler à grands cris.
- Maman, maman, viens voir !
Le cœur de Judith s'emballa, de peur qu'il y ait un problème avec Astrée. Elle lâcha ses ustensiles brusquement pour accourir dans le salon.
- Maman, regarde Astrée !
La petite fille était debout, appuyée sur le canapé devant elle. Debout. Judith s'immobilisa un instant pour graver cette image dans son esprit. Sa fille de presque cinq ans, se tenait debout pour la première fois. Elle essuya une larme d'émotion, et sentit son cœur se gonfler de fierté.
- Bravo mon amour, t'es trop forte !!
La petite fille regardait sa mère, les yeux brillants de joie, fière de son petit effet. Elle lâcha le canapé une seconde pour applaudir et tomba lourdement sur les fesses. Heureusement, le tapis du salon amortit la chute, et Astrée éclata d'un rire communicatif. Judith se précipita pour la serrer dans ses bras.
- Il faut absolument qu'on raconte ça à papa !
- Papa, papa !
Astrée tapait dans ses mains de plus belle, semblant tout à coup impatiente que sa maman raconte son exploit à son papa.
- Je lui téléphone tout de suite !
Malheureusement, le téléphone sonna dans le vide. Judith retenta sa chance puis raccrocha, déçue. Elle ressentit une immense tristesse l'envahir, éclipsant presque le bonheur qu'elle était en train de vivre. Sa vie ressemblerait à cela désormais. Elle avait le vertige en pensant à tous les progrès d'Astrée qu'elle manquerait lorsqu'elle serait chez son papa. Tous les moments en famille qu'ils vivraient chacun de leur côté, ces instants de joie qu'ils ne pourraient plus partager. Il aurait été plus facile de s'y accommoder si ses sentiments envers Ben étaient éteints, or elle savait maintenant que ce n'était pas le cas. Son cœur se brisait quand elle pensait à leur dernière soirée. Elle avait cru voir renaître la flamme et il l'avait repoussée, pas prêt à lui pardonner cette incartade auprès d'un autre. Elle devait l'accepter, leur histoire connaissait désormais son point final. Elle soupira en se disant que ça finirait par lui passer. On guérit de tout, elle en était là preuve vivante. Elle s'habituerait à cette vie loin de lui, cela faisait déjà six mois qu'il en était ainsi. Un jour, le trou béant laissé par le manque se comblerait. Elle l'oublierait.
- Maman, regar' !!!
Judith fut tirée de ses pensées par la voix d'Astrée, qui l'appelait pour lui montrer en direct de quelle manière elle avait réussi à se mettre debout en se tenant au canapé.
Ses pensées moroses furent vite balayées par ces sentiments inexplicables de fierté et d'amour qui débordaient quand elle regardait ses enfants. Finalement, peut-être que son bonheur se résumait à ces deux bébés qu'elle avait mis au monde et qu'elle regardait grandir et s'épanouir chaque jour. La vie avec Astrée pouvait parfois être un challenge éprouvant. S'occuper d'un enfant avec un handicap se révélait différent de tout ce qu'elle avait connu avec Sacha. Elle devait être ses bras, ses jambes, sa voix. Elle avait dû apprendre à la comprendre au-delà des mots en inventant leur propre langage, pallier à ses inconforts, se prendre parfois ses frustrations en pleine figure. Accepter l'idée qu'elle serait toujours dépendante, et se battre pour qu'elle soit autonome autant que possible, car un jour arriverait où elle ne serait plus là pour veiller sur elle.
Pourtant, malgré ce quotidien difficile, la vie était étrangement douce et se révélait pleine de surprises. Si les peines étaient profondes, les joies étaient souvent décuplées. Un parent lambda est heureux et ému de voir son enfant faire ses premiers pas, prononcer son premier mot. Un parent d'enfant handicapé n'est même pas capable d'exprimer ce qu'il ressent quand son enfant progresse ou franchit une nouvelle étape. C'est si fort que c'est innommable. C'est l'espoir qui renaît à chaque fois, une récompense après les efforts fournis sans relâche. Un cadeau de la vie.
Bien sûr, tout n'est pas toujours rose. Parfois, la colère, le sentiment d'injustice, la fatigue prennent le dessus devant tous les défis à relever au quotidien. Mais à la fin de la journée, l'amour prime sur le reste.
Judith était si fière de sa fille. Elle aurait voulu que sa naissance se passe bien, qu'elle n'ait pas à subir tout ce qu'elle avait déjà traversé, que ces séquelles qui entravent sa parole et ses mouvements n'existent pas. Paradoxalement, pour rien au monde elle n'aurait changé quoi que ce soit à son histoire. Ce handicap faisait partie d'elle, et elle aimait Astrée pour ce qu'elle était. L'amour inconditionnel d'une mère envahissait tout son cœur et tout son être lorsqu'elle pensait à ses enfants.
Même si elle aurait aimé que tout s'arrange avec Ben, cela avait peu d'importance tant qu'elle les avait auprès d'elle.
C'est pour cela qu'elle avait décidé de ne pas suivre Roman. Cette histoire avait été une jolie parenthèse, une échappatoire à ses problèmes de couple, la bouffée d'oxygène qui l'avait aidée à ne pas suffoquer. Elle avait aimé chaque moment dans ses bras, elle avait aimé se perdre dans ses grands yeux bleus. Mais elle savait que sa place n'était pas à Prague avec lui. Pour rien au monde, elle n'aurait accepté de perturber l'équilibre de ses enfants, de les éloigner de leur famille, de leurs racines. Pas même pour les plus beaux yeux du monde. Roman avait compris, depuis longtemps. Il était même allé voir Ben, dans une tentative désespérée. Il pensait que peut-être, l'approbation de son ex-mari était la seule chose qui manquait à Judith pour que leur histoire puisse vraiment débuter. Ben avait donné son approbation, réalisant que son égoïsme et son incapacité à apprécier les choses à leur juste valeur avaient tué leur couple à petit feu. Judith avait tant donné pour eux, elle méritait bien de vivre son bonheur, aussi douloureux soit-il pour lui. Mais ça n'avait pas suffi. Roman ignorait ce que Ben avait dit à Judith. Ce qu'il savait maintenant, c'est que ce n'était pas l'assentiment de Ben qui empêchait Judith de se projeter avec lui. Elle était simplement trop attachée à ce cocon familial, dont elle n'avait pas fait le deuil. Dans une autre vie, elle aurait pu l'aimer. S'il l'avait rencontrée avant qu'un libanais mélancolique aux yeux sombres ne vole son cœur. Ironie du sort, il avait fait sa connaissance par le biais de leur fille, qui était la preuve vivante qu'ils seraient toujours liés. Peut-être avait-il été placé sur leur chemin pour qu'ils se retrouvent ? Ils ne le sauraient jamais. Judith lui avait souhaité le meilleur avant de lui dire au revoir et de le laisser s'envoler vers l'est, le cœur léger et sans regrets.
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Tome 2 - Après le feu
Любовные романыTome 1 - Le feu est en toi Tome 2 - Après le feu Il est nécessaire d'avoir lu le premier tome pour comprendre cette histoire. « La vie ne serait pas toujours si rose... Les contes de fée n'existent pas, personne ne vit heureux jusqu'à la fin des te...