Chapitre 4

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Judith avait entrepris de boucler sa valise et celle d'Astrée. Elle emmenait pour la troisième fois la petite fille en centre de rééducation intensive en Bretagne, convaincue des bienfaits que cela lui apportait. Ben n'était pas très investi dans ces démarches, mais il était forcé de constater les progrès de sa fille après ces stages. Il soutenait malgré tout Judith dans ses choix. L'ambiance était quelque peu tendue à la maison depuis leur dernière dispute, ils n'avaient jamais pris la peine d'en reparler et chacun semblait mener sa vie de son côté, comme des colocataires. Ben était toujours autant absent, et dans les rares moments où il était là, Judith l'évitait soigneusement, n'ayant aucune envie de se confronter à lui. Sacha grandissait et n'était pas dupe, il posait beaucoup de questions à sa maman qui n'avait pas envie de lui mentir, tout en tenant à le préserver. Elle lui avait expliqué qu'en ce moment, Ben et elle avaient du mal à se comprendre et que c'était compliqué, que ça finirait sûrement par s'arranger. Pendant son absence, Sacha partagerait son temps entre Ben et César qui prendrait le relais quand Ben devrait travailler. Judith était un peu inquiète, le récent comportement de son mari ne la mettant pas réellement en confiance. Elle espérait qu'il sortirait un peu de sa torpeur habituelle pour s'occuper au mieux de Sacha pendant qu'elle serait loin. Du haut de ses dix ans, il restait un petit garçon qui avait besoin de sa maman.

Ses prières semblaient avoir été entendues. Elle avait entraperçu une lueur d'espoir plus tôt dans l'après-midi. Ben n'était pas allé au studio et avait lâché son téléphone pour proposer à Sacha de monter une construction en Lego, pendant que Judith était affairée à calmer la petite Astrée, inconsolable, sans qu'aucun d'eux ne sache ce qui n'allait pas.

- Tout est prêt ?

Judith le regarda fixement, surprise qu'il lui pose la question. Ils ne s'étaient pas adressé la parole depuis de longues semaines, c'était étrange de l'entendre la solliciter pour autre chose que des banalités.

- Presque. J'avancerais plus vite si je n'avais pas ce petit monstre dans les pattes.

Elle sourit en désignant Astrée au sol qui s'accrochait à ses jambes pour réclamer d'être portée.

- Je vais m'en occuper.

Ben s'avança pour prendre sa fille dans ses bras et permettre à Judith de préparer les bagages tranquillement. La petite fille hurla, à peine soulevée du sol.

- Astrée, je sais que c'est maman que tu veux, mais elle n'est pas trop dispo là. Profite un peu de papa, on ne se verra pas pendant quinze jours.

Astrée avait cessé d'hurler, mais continuait de réclamer sa mère en la pointant du doigt, ses petits yeux brillants de larmes. Ben soupira et la posa, le cœur serré.

- Tu vois, elle ne veut que toi de toute façon. Je vais aller préparer le repas, ok ?

Judith acquiesça d'un mouvement de tête, en se gardant bien de lui préciser que s'il s'occupait plus souvent d'elle, elle ne réagirait pas de cette manière. C'était un cercle vicieux. Plus il était distant, moins il créait de lien avec sa fille, et moins elle se sentait en confiance avec lui. Il aurait bien besoin de l'entendre, mais elle attendrait que les oreilles d'Astrée soient assez loin pour ne pas écouter les reproches qu'elle avait à faire à son père. Si elle n'était pas en capacité de parler, elle comprenait tout. La relation entre le père et la fille était déjà fragile, elle ne voulait pas risquer d'empirer la situation. Sacha débarqua dans la chambre avec quelques jouets, et comme d'habitude, Astrée lui adressa le plus rayonnant des sourires. Judith embrassa le front de son fils, il lui était d'une aide si précieuse. Elle continua à préparer les affaires dans une ambiance plus calme et sereine.

Ils regagnèrent tous les trois le salon, et Ben franchit au même moment la porte, les bras chargés de sacs en carton à l'effigie de l'un de leurs restaurants préférés. En voyant le contenu du frigo, il avait sûrement dû opter pour un repas à emporter. Judith appréciait l'attention, la nourriture n'était pas le point fort du centre de rééducation, et cela faisait longtemps qu'ils ne s'étaient pas retrouvés tous les quatre autour de la table basse à manger des frites avec les doigts. Elle ne demandait pas grand-chose finalement, juste ces moments de bonheur simple en famille.

- C'est trop cool d'être tous ensemble. On devrait le faire plus souvent, hein maman ?

- Je suis d'accord mon chat.

- Merci Ben d'avoir apporté des frites.

Sacha lui adressa un petit sourire reconnaissant, et Ben lui rendit son sourire en lui ébouriffant les cheveux.

- Ne crois pas que ça sera tous les jours comme ça quand ta mère sera partie.

- Heureusement que je vais quand même chez tonton César, il cuisine mieux que toi.

- Petit ingrat.

Judith observait ce moment de complicité, l'œil brillant. Elle vivait cette soirée comme un moment de grâce. Cela faisait tellement de bien de retrouver Ben. Sacha était heureux lui aussi, Ben était comme un père pour lui. Même s'il ne disait rien, Judith savait qu'il souffrait de le sentir si distant ces derniers temps. Astrée était étonnamment calme et détendue, assise au creux des jambes de sa mère qui lui donnait des frites avec du ketchup. Elle semblait se régaler et apprécier le moment. Judith ne pouvait s'empêcher de culpabiliser. Elle avait l'impression de transmettre involontairement sa peine et ses angoisses à sa fille, et d'être responsable de son agitation constante.

Un peu plus tard, une fois les enfants endormis et les valises bouclées, Judith profita pour prendre une douche bien chaude. Elle laissa le liquide brûlant tomber sur ses épaules et descendre le long de son corps. Détendue et apaisée, elle se brossait les cheveux, en sous-vêtements face au miroir, perdue dans ses pensées. Ben arriva derrière elle, et se plaça contre son dos pour l'enlacer. Ce contact la surprit, mais lui fit du bien.

- Je suis désolé. Pour tout.

Les yeux fermés, elle profitait des baisers que son mari dispersait le long de son cou. Elle ne savait pas bien s'il était sincère, ou s'il avait juste besoin de la retrouver.

- Ben...

- Tu me manques.

Il soupira, et en un mouvement, la retourna face à lui. Il replaça une de ses mèches de cheveux mouillés derrière son oreille, pour dégager son visage aux traits tirés par le manque de sommeil et les soucis. Elle n'en demeurait pas moins belle. Ses mains avaient glissé le long de son dos et jouaient avec l'élastique de sa culotte, son regard sombre et brûlant d'envie la dévorait toute entière. Elle aurait préféré lui parler ce soir, qu'ils mettent les choses à plat pour repartir sur de bonnes bases, mais il avait clairement d'autres idées en tête. Cela faisait plusieurs mois qu'ils n'avaient pas partagé de moment intime, et Judith ne savait même pas si ça lui manquait, tant elle était préoccupée par le reste. Elle décida de laisser de côté les discussions qui fâchent pour s'accorder un peu de répit dans les bras de Ben. Il attendait un pas de sa part, un signal qui l'autoriserait à aller plus loin, alors elle approcha son visage du sien pour embrasser ses lèvres. Elle avait presque oublié leur goût. Ses yeux se fermèrent pour profiter pleinement de ce baiser. D'un geste, il fit tomber son soutien-gorge sur le sol avant de la porter pour la déposer sur le lit. Il retira son t-shirt et son jogging et se glissa avec elle sous les couvertures. Sa peau était douce contre la sienne, et l'étreinte agréable, même si la passion des débuts semblait bien loin.

Ben s'était rapidement endormi, dos à Judith. Allongée sur le dos, elle fixait le plafond, incapable de trouver le sommeil. Elle était un peu perdue, tiraillée entre la joie d'avoir partagé une soirée en famille, le bonheur d'avoir retrouvé la tendresse de son mari, et la tristesse. Elle se sentait profondément malheureuse de constater l'évolution de leur couple, de leur vie ensemble. Aujourd'hui, presque plus rien ne les liait, en dehors de l'anneau qu'elle portait à la main gauche, et de leur fille avec qui il avait tant de mal à créer une relation. Elle se demandait si cette soirée était le début de quelque chose, mais elle ne se faisait pas trop d'illusions. Ça n'était probablement rien d'autre qu'un moment suspendu hors du temps, loin de ce chaos qu'était devenu leur vie.

Tome 2 - Après le feuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant