Judith avait pris le temps d'enfiler une tenue convenable et d'appliquer un peu de maquillage pour camoufler les ravages liés au stress et à la fatigue. Elle avait prodigué les derniers conseils à César et embrassé ses enfants, puis avait quitté son appartement, le cœur léger. Si elle avait au premier abord rechigné à accepter cette sortie, elle était maintenant ravie de laisser ses responsabilités derrière elle le temps d'une soirée en compagnie de sa meilleure amie.
Les températures étaient déjà douces pour un mois d'avril. Judith savourait pleinement cette sensation de liberté que lui procurait cette sortie improvisée. Elle avait l'impression de redécouvrir les rues de Paris, de retrouver le temps de l'insouciance. Inès, aussi jolie et pétillante qu'à son habitude, tenait le bras de Judith, la démarche légère et le sourire rayonnant. Elle ne lui faisait jamais de reproche, sachant à quel point la vie de son amie avait changé. Elle la voyait se battre contre vents et marées pour que sa famille tienne debout malgré l'inexplicable comportement de Ben. Son courage forçait l'admiration, mais elle lui manquait terriblement. Inès aussi avait parfois envie de retrouver la Judith d'avant. Consciente que c'était impossible, elle en avait fait le deuil, tenant plus que toute autre chose à leur amitié. Elle espérait être à la hauteur et soutenir au mieux la femme exceptionnelle qui était entrée dans sa vie de longues années auparavant.
- Qu'est-ce que tu as envie de faire ma Ju ?
- Manger. Boire. Et danser.
- C'est un programme qui me plaît bien.
Elles avaient profité de la douceur de la soirée pour manger un morceau sur les quais, puis avaient migré vers un petit bar dans lequel Inès avait ses habitudes. L'ambiance était légère et joyeuse, les deux amies partageaient éclats de rire et confidences entre deux verres de rosé.
- Comment ça se passe avec Ben ? J'imagine qu'il te manque.
Judith haussa les épaules, le regard perdu dans le vide.
- Je ne sais pas trop.
- Comment ça, tu ne sais pas trop ? Quand je pars en déplacement, le temps me paraît long mais j'aime tellement cette sensation de manque et les retrouvailles qui suivent. Puis ça permet d'entretenir un peu la flamme, on s'envoie des messages grave chauds avec César...
- Et bien, je dirais qu'ici c'est plutôt ambiance glaciale de Sibérie.
Inès regardait son amie un peu décontenancée. Elle savait que les relations du couple n'étaient pas au beau fixe, mais elle était loin de réaliser que le point de non-retour serait bientôt atteint.
- Je suis désolée, je casse l'ambiance.
- Ce qui me surprend, c'est de voir à quel point tu sembles détachée de tout ça. On dirait que tu as déjà baissé les bras. Avant tu aurais été dévastée, et là, c'est comme si ça ne te touchait pas.
- Évidemment que ça me touche, mais je ne sais pas... Je suis comme anesthésiée. Quand je vous regarde César et toi, je ne peux pas m'empêcher de me demander ce qui a foiré. Je pense qu'il n'était pas prêt pour cette vie-là, et que moi je le délaisse trop. On n'arrive plus à s'apporter ce dont l'autre a besoin. Et je suis tellement fatiguée, blasée, que je n'ai même plus envie de faire d'effort.- L'amour n'est pas suffisant parfois... Mais on pensait tous que vous étiez indestructibles. Ça me rend triste pour vous.
Judith resta silencieuse. Elle aussi pensait qu'ils seraient plus forts que tout. Le temps met bien des choses à l'épreuve. Un voile de tristesse passa dans son regard et Inès changea de sujet.
- Allez, on trinque à nous deux, et à des jours meilleurs !
Judith décida d'ignorer cette mélancolie soudaine qui l'envahissait pour profiter pleinement de la soirée. Inès avait raison, il ne pourrait y avoir que des jours meilleurs. Il aurait été dommage de perdre son temps à s'apitoyer sur des problèmes qui de toute façon, ne trouveraient pas leur issue ce soir. Après quelques verres supplémentaires, elles se dirent qu'il était grand temps d'aller danser. En sortant du bar, Judith entendit son téléphone sonner dans son sac. Son cœur se souleva dans sa poitrine à l'idée qu'il puisse se passer quelque chose avec Astrée, mais elle fut rapidement rassurée de voir le nom de Ben s'afficher à l'écran. Elle culpabilisa un instant, se rappelant qu'elle n'avait pas pris la peine de lui écrire pour lui souhaiter bonne nuit et l'avertir que les enfants étaient avec César.
Elle inspira un grand coup pour atténuer les effets de l'alcool et enclencha la vidéo. Ben apparut à l'écran, les traits tirés et l'air soucieux, comme à son habitude. Avec les sept heures de décalage, il était très tard au Japon, ou très tôt. Tout était question de point de vue.
- Tout va bien ? Qu'est-ce que tu fais dehors ?
Judith décala un peu le téléphone et Inès salua Ben d'un signe de la main.
- J'emmène ta femme danser.
- Bah ça va, je vois que vous vous amusez bien.
- On profite que César soit dispo pour garder les enfants. J'ai dû insister, tu la connais. Elle ne voulait pas les laisser, mais ça va lui faire tellement de bien de se changer les idées. Et puis, j'avais vraiment envie de passer une soirée avec ma Judith avant de repartir !
- Ah, mais tu n'as pas à te justifier. Profitez bien.
- Je te repasse Ju. Bisous Ben, et essaie de dormir un peu, t'as vraiment une tête de déterré.
Il esquissa un demi sourire avant de saluer Inès en retour. Judith reprit le téléphone, un peu gênée. Même si Ben se voulait désinvolte dans ses paroles, elle sentait bien que quelque chose le chagrinait.
- Tout va bien ?
- Ouais, ne t'en fais pas pour moi.
Judith n'insista pas davantage, ne tenant pas à ce que la soirée entre amies se finisse en dispute de couple. Ben était mal placé pour lui faire des reproches sur ses sorties. La discussion était inévitable. Mais pas ce soir.
- Je vais te laisser, on arrive devant la boîte.
- On se parle demain ?
- Oui. Promis.
- Et Judith ?
- Quoi ?
- Je te fais confiance, ok ?
Elle eut un mouvement de recul, ne s'attendant pas à une telle mise en garde. Il n'avait aucune raison de douter d'elle. Préférant ne pas répondre, elle pressa le petit cercle rouge pour mettre fin à la conversation.
- Je n'ai plus les mots là... Tu as entendu ?
- Oui... Ne te fâche pas Judith, je suis loin de prendre sa défense mais il a l'air tellement triste. Je pense qu'un petit mot pour le rassurer lui aurait fait du bien. Tu sais bien qu'il a confiance en toi, il a juste peur de te perdre.
- Et bien s'il a si peur de me perdre, qu'est-ce qu'il fout à des milliers de kilomètres ? Il fait ses propres choix, il ne peut pas espérer que ce soit sans conséquences.
- Je comprends, mais je te trouve dure avec lui. Je pense qu'une vraie discussion s'impose pour savoir un peu où vous allez.
- Ça ne mène à rien, on tourne en rond.
- Ok.
Un froid s'installa entre les deux filles, les effets de l'alcool étaient un peu retombés et l'appel de Ben avait quelque peu plombé l'ambiance.
- Judith, je suis désolée d'avoir gâché le moment avec mes conseils pourris. Je ne suis pas à ta place et je ne te juge pas, c'est juste que je me sens impuissante en vous voyant si malheureux tous les deux.
- Ce n'est rien, je ne t'en veux pas. Je ferais certainement la même chose pour César et toi. C'est juste trop compliqué, n'en parlons plus pour ce soir... D'ailleurs, on ne devait pas aller danser ?
- Mais si. Allons-y.
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Tome 2 - Après le feu
RomansaTome 1 - Le feu est en toi Tome 2 - Après le feu Il est nécessaire d'avoir lu le premier tome pour comprendre cette histoire. « La vie ne serait pas toujours si rose... Les contes de fée n'existent pas, personne ne vit heureux jusqu'à la fin des te...