Chapitre 7

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En poussant la porte d'entrée, Judith retrouva son mari dans la pénombre du salon, secoué de sanglots sur le canapé. A cet instant précis, elle réalisa qu'elle n'avait pas versé une seule larme, davantage dans l'incompréhension que dans la tristesse. Ben, de son côté, semblait comme anéanti. Judith l'avait vu dans cet état seulement deux fois : après la mort d'Ally, et après la mort de sa mère. Elle sentit son cœur se serrer, et la colère s'envoler pour de bon. Même si elle lui en voulait de lui faire endurer ses absences, elle ne supportait pas de le voir souffrir autant. Elle alluma une petite lampe d'appoint en s'approchant de lui doucement, et caressa sa joue trempée de larmes.

- Ben, parle-moi.

Elle le voyait lutter pour tarir le torrent de larmes qui s'écoulait de ses yeux, et pour la première fois de la soirée, sentit ses propres larmes monter. Le voir si affecté lui faisait mal, elle restait impuissante, tellement coupable d'être la cause de cette souffrance. Son corps blotti contre le sien, elle attendit que l'orage passe avant d'entamer une discussion nécessaire. Elle ne savait pas exactement combien de temps s'était écoulé quand il se calma enfin.

- Ben, j'ai besoin de savoir. Est-ce que tu veux divorcer ?

Il soupira longuement, cherchant ses mots.

- Non. Je te promets, ce n'est pas ce que je veux.

Elle espérait que cette réponse la soulage, mais la charge qui pesait sur ses épaules était toujours présente. Le problème n'était pas réglé, il lui était impossible de simplement passer à autre chose.

- Il est grand temps que l'on ait une discussion honnête, tu ne crois pas ? Est-ce que tu es heureux ? Ne me mens pas pour me préserver, je ne suis pas idiote

- Je n'en sais rien. Depuis que la petite est née, je suis dans une mauvaise spirale dont je n'arrive pas à sortir. Il y a eu l'annonce de son handicap, cette nouvelle vie avec un bébé pas comme les autres, la mort de ma mère... Et toi, tu es là, mais t'es sur tous les fronts, accaparée par toute cette merde et je te sens si loin. Je ne te reproche rien, tu es une mère formidable et c'est toi qui nous maintiens la tête hors de l'eau, pour ça, tu as toute mon admiration. Mais j'ai l'impression de ne plus exister pour toi, chaque jour tu m'échappes un peu plus. Tu me manques, je veux retrouver ma femme mais je sais que c'est impossible parce que cette épreuve t'a changée, a changé notre vie, notre façon de nous aimer... Je n'arrive pas à trouver ma place au milieu de tout ça.

Le point de vue de Ben n'était pas une surprise pour Judith, qui avait plutôt bien cerné la situation sans qu'il n'ait besoin de lui en parler. Elle savait ce qui n'allait pas, sans être en mesure de lui donner ce dont il avait besoin.

- Je ne peux pas t'en vouloir. Tu n'as pas choisi d'avoir ce bébé après tout.

- Ne dis pas ça.

- C'est la vérité, Ben. Je me suis retrouvée enceinte du jour au lendemain, peu de temps après qu'on se soit retrouvés. On n'a jamais eu de discussion à ce sujet. Ça n'a jamais été ton choix, ça s'est juste imposé à nous. Elle était là et tu as dû te sentir au pied du mur. Je n'ai pas voulu que ça arrive, mais c'est arrivé et je pensais naïvement qu'on serait heureux.

- Je pensais l'être aussi. C'est moi le problème, je suis incapable de t'offrir la vie dont tu rêves. J'ai l'impression de regarder de loin notre famille, tout en y étant étranger.

- Et tu penses sincèrement que partir à l'autre bout du monde va arranger les choses ? La distance achèvera de nous éloigner.

Ben soupira longuement, sachant pertinemment qu'elle avait raison. Malheureusement, il ne se voyait pas agir autrement. Mettre les voiles et prendre du recul quelques temps devenait vital. Il espérait qu'elle comprenne.

- Ce maudit Japon. Je crois que c'est prédestiné, finalement. À chaque fois que tu veux me fuir, c'est là-bas que tu vas te réfugier.

- Ju, je ne veux pas qu'on se sépare. Ce n'est pas terminé nous deux. J'ai juste besoin de faire le point pour revenir meilleur.

- Tu ne peux pas espérer partir si longtemps et revenir sans que rien n'ait changé. Je ne te promets pas de t'attendre sagement et de t'accueillir à bras ouverts quand tu auras fini de « faire le point ».

- Qu'est-ce que je dois comprendre ?

- Que je suis fatiguée de t'attendre sans cesse et lassée de me battre seule pour un mariage qui ne rime plus à rien ? Que j'en ai assez de tout gérer seule depuis la naissance d'Astrée ? Qu'est-ce qui se passerait si moi je décidais subitement de partir à l'autre bout du monde faire le point en laissant mes enfants derrière moi ? T'es juste un putain d'égoïste, je ne sais pas ce qui compte pour toi en dehors de ton rap et de tes états d'âme.

Le regard perdu dans le vide, Ben ne trouva rien à répondre. Judith décida d'écourter cette conversation qui ne menait à rien. Aucune larme ne coula de ses yeux, elle se sentait juste vide, terriblement vide. Elle regrettait que la soirée sans enfants qu'elle attendait depuis si longtemps n'ait prit cette tournure. Rageusement, elle tira sur sa paire de collants filés et ôta sa robe, observant sa mine fatiguée dans le miroir avec dégoût. L'eau brûlante de la douche coulait le long de son dos pendant qu'elle tentait de faire le vide dans son esprit. Elle pensait qu'il aurait quitté l'appartement pour se réfugier dans son studio, comme à chaque fois que le ton montait entre eux. Elle fut surprise de le trouver au bord du lit, le regard suppliant.

- Je reste si tu me le demandes. Je ne veux pas te perdre.

Judith prit place près de lui sur le lit. Évidemment qu'elle souhaitait qu'il reste, mais était-ce la bonne solution ?

- Je ne veux pas que tu sois loin de nous. Mais tu es malheureux, alors à quoi bon te forcer ? Fais ce qui te semble juste.

- Je sais que ce n'est pas juste pour vous, mais je te promets de tout faire pour essayer d'être à la hauteur en rentrant.

- Si tu en as besoin, je ne suis personne pour t'en empêcher. Dans le fond, tout ce que je veux, c'est ton bonheur. S'il n'est pas ici, alors soit.

- Tu m'attendras ?

Judith fixait l'anneau serti de diamants à son annulaire gauche. Elle avait fait une promesse, celle de passer sa vie à ses côtés, de se battre pour lui, de continuer à l'aimer, en dépit de tout ce qui pourrait leur arriver. Aujourd'hui, elle n'était plus certaine d'être en mesure de tenir cette promesse.

- Je ne sais pas.

A son tour, il s'approcha d'elle lentement. Il dégagea les mèches bouclées qui tombaient devant son visage délicat.

- Je t'aime.

Il soutint son regard comme pour lui demander la permission d'aller plus loin. Elle fit le premier pas pour lui en se jetant sur ses lèvres. Elle ne savait pas si elle en avait réellement envie, mais elle avait besoin d'oublier. Elle assistait impuissante à la chute de la vie de famille dont elle avait toujours rêvé. Il s'accrochait à ses lèvres comme à une bouée de sauvetage, pensant naïvement que la communion de leurs deux corps pouvait à elle seule résoudre tous leurs problèmes. Ils se raccrochaient tous les deux à l'illusion de partager encore quelque chose. Judith agissait un peu à son corps défendant, l'esprit complètement dissocié de son corps. Comment allaient-ils pouvoir survivre à tout ça ? Elle bénissait l'obscurité totale de la chambre, qui ne permettait pas à Ben de voir cette expression absente sur son visage.


Tome 2 - Après le feuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant