Judith n'avait pas entendu son réveil ce matin et se préparait à la hâte dans sa petite salle de bain en pagaille. Toute la famille avait eu la grippe la semaine dernière, et ils avaient eu bien du mal à s'en remettre. Une nouvelle fois, César lui avait sauvé la mise en venant s'installer chez eux quelques jours pour s'occuper des enfants, le temps qu'elle soit capable de sortir du lit et de tenir sur ses jambes. Elle pestait intérieurement en y repensant, ce n'était pas le rôle de son meilleur ami de veiller sur leurs fronts brûlants, mais bel et bien celui de son mari... Évidemment, César avait à son tour attrapé la crève et Judith s'était promis de passer le voir dans la journée pour lui préparer une soupe et prendre de ses nouvelles.
Ben avait décidé de ne pas revenir. Il s'était fendu d'un interminable message dans lequel il disait ne pas se sentir prêt, qu'il avait besoin de temps et qu'il était désolé, qu'il les aimait. Elle ne doutait pas de sa sincérité, mais, lasse d'attendre et d'écouter en boucle les mêmes excuses vides de sens, avait commencé à lâcher prise. Elle n'avait pas pris la peine de répondre, désormais leurs échanges se limitaient aux enfants. Comme tous les matins, elle marqua un temps d'arrêt en regardant sa main gauche nue. Elle avait du mal à s'habituer à voir son doigt sans le bijou qui symbolisait leur mariage. L'anneau serti de diamants avait été rageusement déposé dans la coupelle sur le meuble de la salle de bain, quelques jours après la réception du message de Ben. Elle avait décidé de jeter l'éponge, fatiguée d'être celle qui accepte toujours tout.
Une autre raison l'avait poussée à enlever son alliance. Les échanges toujours plus réguliers avec Roman inondaient son téléphone de notifications. C'était chaque jour un peu plus agréable, un peu plus réconfortant. Ils ne passaient plus une seule journée sans se parler, et elle attendait tous les soirs que les enfants soient couchés pour se blottir dans ses draps et échanger d'interminables messages avec celui qui faisait nouvellement battre son cœur. Judith ressentait une certaine forme de culpabilité, malgré tout ce qui s'était passé ces derniers temps, elle n'aimait pas cette sensation de trahir son mari. Paradoxalement, elle ne pouvait s'empêcher de sourire bêtement à chaque nouveau message. Le silence lui semblait bien pratique. Pour le moment, il était plus simple d'ignorer Ben plutôt que de lui avouer la vérité. Elle savait au fond d'elle que son cœur se briserait à la minute où il verrait qu'elle avait décidé d'enlever son alliance. Elle n'osait imaginer sa réaction pour le reste et se disait qu'il était plus sage d'attendre son retour. Elle avait conscience de sa lâcheté, mais se sentait bien incapable d'agir autrement.
Elle se hâta de déposer Sacha à l'école, et se retrouva une fois de plus face à face avec la directrice sur le point de refermer les grilles.
- Madame Semaan parmi les retardataires, comme c'est étonnant.
Judith ne put s'empêcher de lever les yeux au ciel en réponse au ton blasé employé par la directrice. Elle s'efforçait d'être discrète, sachant pertinemment qu'elle était en tort et qu'il lui arrivait plusieurs fois par semaine de déposer Sacha juste avant la fermeture des grilles, voir bien plus tard.
- Vous avez des problèmes à la maison en ce moment ?
Oh, si on met de côté mon mari qui s'est barré au Japon pour une durée indéterminée, une histoire d'amour naissante avec un thérapeute tchèque et ma fille handicapée de quatre ans, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes... Évidemment, Judith garda ses réflexions intimes sarcastiques pour elle et se contenta de sourire poliment.
- Tout va bien, je vais essayer de m'organiser différemment pour arriver plus tôt. Je suis désolée.
La directrice lui lança en retour un sourire compatissant.
Après avoir déposé Sacha, Judith se rendit directement chez César. Il avait à son tour attrapé la grippe, et il lui tenait à cœur de prendre soin de lui comme il avait pris soin d'eux. Elle frappa contre la porte de l'appartement, sans obtenir de réponse. Par chance, elle avait emporté sa clé. César dormait sur le canapé, blotti sous un plaid, semblant dans le même état qu'elle la semaine dernière. Elle déposa un baiser sur sa joue brûlante.
- Inès ?
Inès était en déplacement. Il devait probablement délirer à cause de la fièvre.
- Dis-donc, ta femme serait ravie de constater que tu la confonds avec la première venue.
César ouvrit péniblement les yeux et la fixa d'un air hagard.
- Fais pas chier.
Judith lui sourit tendrement. Qu'elle aimait cet ami... Il était l'une des personnes les plus chères à son cœur.
- Je suis désolée de t'avoir filé ma crève. T'es dans un sale état.
- Je veux bien qu'on partage tout, mais pour le coup t'aurais pu t'abstenir. Sa mère, j'ai mal partout ! J'ai la gorge en feu et des lames de rasoir dans les pattes.
- À mon tour de prendre soin de toi maintenant. Ne bouge pas, je vais te préparer quelque chose de chaud.
Il se redressa avec toutes les peines de monde en soupirant bruyamment. Elle lui tendit un Doliprane qu'il avala sans se faire prier. Judith posa sur lui un regard mi amusé, mi compatissant. Il représentait parfaitement l'archétype de l'homme malade.
Elle rejoignit la cuisine pour lui préparer une tasse de thé au miel, et quand elle regagna le salon quelques minutes plus tard, il était de nouveau profondément endormi sur le canapé. Son corps semblait parcouru de frissons, elle le recouvrit du plaid qui traînait sur l'un des accoudoirs. Elle avait une tonne de choses prévues aujourd'hui, mais elle n'avait envie d'être nulle part ailleurs qu'auprès de lui. Elle se fraya une petite place sur le canapé et lança un film au hasard sur Netflix, avant de jeter un œil à son téléphone. Roman lui avait écrit ce matin.
« Hello Ju, j'espère que tu as bien dormi. Tu fais quoi aujourd'hui ? »
« Salut, je prends soin de mon ami qui est malade à son tour. Et toi ? »
« Travail au centre. Astrée va bien ? »
« Elle va bien. Elle est retournée à l'institut aujourd'hui. Les virus nous lâchent enfin »
« Tant mieux. Je compte les jours avant votre arrivée »
« J'ai hâte aussi »
Tout le corps de Judith se remplit d'une agréable sensation à la lecture de ces mots. Pourtant, elle ne pouvait s'empêcher de s'infliger une culpabilité qui surpassait tout ce qu'elle pouvait ressentir. Les échanges étaient simples, pas tellement explicites, mais elle savait au fond d'elle qu'une ambiguïté s'était installée. Cet homme ne quittait plus ses pensées, et elle avait peur de ce qui se passerait lorsqu'ils se retrouveraient face à face.
Elle quitta de nouveau la pièce pour préparer un repas, pensant que César aurait peut-être faim à son réveil. Elle connaissait la cuisine et ses rangements par cœur, elle y avait passé tant de temps avec César ou Inès. Il y avait des pommes de terre et des légumes dans le bac, elle s'attela donc à la préparation d'une soupe. Une bonne demi-heure plus tard, alors qu'elle s'était mise à la vaisselle, César apparut dans l'encadrement de la porte.
- C'est qui Roman ?
De stupeur, elle lâcha le bol qu'elle tenait dans les mains, qui s'explosa contre le sol.
- Toi, t'as pas l'air d'avoir l'esprit tranquille.
- Tu fouilles dans mon téléphone maintenant ?
- Inès a téléphoné, j'ai décroché et quand j'ai raccroché, ton téléphone était ouvert sur la page de votre discussion WhatsApp. A quoi tu joues Judith ? C'est pour ça que tu ne portes plus ton alliance ?
Judith ne trouva pas le cran de nier ou de mentir. A quoi bon ? Plus que jamais, la culpabilité lui tenaillait les entrailles.
- Je suis complètement perdue. Je sais que c'est mal mais ça me fait tellement de bien.
- Ce n'est pas moi qui vais te juger, je sais que le libanais fait de la merde. Mais t'es pas comme ça et je sais que tu vas te bouffer les doigts toute ta vie s'il se passe un truc et qu'il l'apprend. Même s'il ne l'apprend pas, tu seras tellement rongée par la culpabilité que tu finiras par lui dire. Je te connais trop bien.
- Alors qu'est-ce je dois faire ?
- Je n'en sais rien, ce n'est pas à moi de te donner la réponse...
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Tome 2 - Après le feu
Любовные романыTome 1 - Le feu est en toi Tome 2 - Après le feu Il est nécessaire d'avoir lu le premier tome pour comprendre cette histoire. « La vie ne serait pas toujours si rose... Les contes de fée n'existent pas, personne ne vit heureux jusqu'à la fin des te...