Chapitre 17

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6 mois plus tard

- T'es trop belle.

Il avait prononcé ces mots tout en couvrant son corps nu de baisers et elle avait souri. Ses cheveux bouclés éparpillés sur l'oreiller encadraient son visage apaisé et détendu. Depuis quelques mois, elle avait appris à compartimenter sa vie, tantôt maman aimante, tantôt femme passionnée.

Pourtant, aussi agréables soient-ils, les frissons du début ne lui rendraient jamais ce qu'elle avait perdu. Le rêve d'une famille unie pour toujours. Il lui arrivait parfois de penser avec mélancolie à ce beau libanais aux cheveux en bataille sous sa casquette, qui avait été son mari. Cela lui semblait si lointain qu'elle se demandait parfois si cette époque avait vraiment existé. Ironie du sort, Ben avait attendu qu'ils soient séparés pour s'investir auprès des enfants. Depuis qu'il avait déménagé, il les prenait tous les deux chaque week-end. Continuer à voir Sacha avait été une évidence pour lui, pour le plus grand soulagement de Judith. Il apprenait tout doucement à apprivoiser Astrée. Finalement, ce temps loin de Judith leur semblait bénéfique à tous les deux, comme s'ils avaient eu besoin de se trouver livrés à eux-mêmes pour tisser un lien. Quand Astrée réclamait son papa, le cœur de Judith se serrait et elle ressentait une vive douleur dans la poitrine. Évidemment, elle se réjouissait pour sa fille, mais elle ne pouvait s'empêcher de se demander "pourquoi maintenant ?". Pourquoi avait-il attendu qu'ils soient séparés pour agir enfin comme un père ? La vie se montrait parfois cruelle, lui laissant un arrière-goût amer à chaque fois qu'elle pensait à ce beau gâchis. Ils n'en seraient pas là aujourd'hui s'il avait pris conscience des choses plus tôt.

Elle regardait Roman, allongé près d'elle, leurs corps entremêlés dans les draps. Il était beau, lui aussi. L'exact opposé de son mari, mais on ne pouvait pas passer à côté du charme qui se dégageait de lui. Il la couvait toujours de ce regard bleu azur, à la fois bienveillant et admiratif. Il n'attendait rien d'elle, se contentant de ce qu'elle était capable de lui donner. Roman n'avait jamais rencontré Sacha, et ne voyait pas Astrée en dehors des thérapies. Judith n'était pas prête à faire coïncider ces deux pans de sa vie. Il y avait un temps pour ses enfants, où elle leur était entièrement dévouée et consacrée, et un temps pour elle dès qu'ils franchissaient la porte le vendredi soir. Elle prenait un train pour rejoindre Roman en Bretagne, et elle oubliait tout, le temps de quelques jours. Ses responsabilités, ses peines, la fatigue des nuits sans sommeil, l'échec de son mariage. Elle redevenait insouciante, légère. Elle se laissait porter en profitant du moment présent, incapable de nourrir quelconque projet d'avenir. Elle chérissait de tout son cœur les moments à la fois doux et torrides partagés avec Roman, mais il était hors de question pour elle de s'imaginer refaire sa vie. Imposer à ses enfants la présence d'un homme à la maison, subir les conflits du quotidien, se remarier ou avoir des enfants à nouveau n'était pas dans ses plans. Le futur était hors de portée, et cela la satisfaisait pleinement. Elle ignorait ce qu'il en était de son côté, elle préférait ne pas savoir. Prendre chaque jour comme il venait était son seul objectif à long terme.

La sonnerie de son téléphone posé sur la table de chevet interrompit leur étreinte. Ils se séparèrent à contrecœur et Judith attrapa le téléphone accroché au fil du chargeur. Ben. Aussitôt, elle remonta la couverture sur son corps dénudé, tout à fait consciente qu'il ne pouvait pas la voir. Elle avait toujours l'étrange sensation de faire quelque chose de mal quand elle se trouvait en présence de Roman. Ce n'était pas le cas, Ben et Judith étaient officiellement séparés, les papiers du divorce seraient bientôt signés, et il savait qu'elle voyait quelqu'un quand elle n'avait pas les enfants. Malgré tout, elle ne pouvait s'empêcher de ressentir un malaise profond chaque fois que ces deux parties distinctes de sa vie coïncidaient.

- Allô ?

- Ça va Judith ?

- Oui merci. Et toi ?

- Bien. Écoute, je suis désolé de te déranger mais Astrée est malade, elle a de la fièvre depuis ce matin. Je lui ai donné du Doliprane mais ça ne bouge pas. Je voulais juste te prévenir.

- Tu as bien fait. Je vais essayer de rentrer.

- Ne te sens pas obligée.

- Je ne me sens pas obligée. Tu sais que les enfants restent ma priorité.

Roman sembla déçu, mais ne laissa rien paraître. Lui aussi savait que les enfants de Judith passeraient toujours avant le reste. Il serait l'éternel second rôle, il en avait conscience.

- J'ai un train dans une heure. Je ferais mieux de ne pas traîner.

Elle baissa la tête, un peu coupable d'écourter si brusquement le peu de temps qu'elle parvenait à lui accorder au milieu de sa vie bien remplie. Elle n'était pas censée rentrer avant le lendemain soir, mais il lui était inconcevable d'être loin de sa fille malade.

- Je suis désolée.

Il plaça délicatement sa main sous son menton pour la pousser à relever les yeux vers lui.

- Ne t'en fais pas. Je comprends. Je t'accompagne à la gare ?

Elle hocha la tête et il l'embrassa avec passion.

- On se revoit vite.

Elle rassembla ses affaires à la hâte, et ils quittèrent l'appartement de Roman pour se rendre à pieds à la gare. Il pleuvait des cordes et le ciel était gris, parfait cliché de la Bretagne, même si les abords de la gare n'avaient rien d'une carte postale. Trempés jusqu'aux os sur le quai, l'heure était venue de se dire au revoir. Aucun des deux n'avait envie de lâcher l'autre, même si Judith savait que sa place était auprès d'Astrée, quitter si précipitamment le pays de l'insouciance lui faisait comme un pincement au cœur.

- Prend bien soin d'Astrée. Tu me manques déjà.

Pour toute réponse, elle lui donna un baiser d'au revoir brûlant avant de s'engouffrer dans le train pour Paris.

Tome 2 - Après le feuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant