CHAPITRE 10 - L'ombre du sécateur

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Solila

Doute. Soupçon. Culpabilité.

Kunnias a beau connaître Skuma depuis qu'ils portent des couches, il n'est pas sûr de savoir qui elle est réellement. Il n'est pas sûr qu'elle ait des scrupules à lui cacher des secrets. Il n'est pas sûr qu'elle lui ait dit la vérité.

Et il s'en veut d'avoir de telles pensées. De porter si peu d'estime à sa cousine. Lui qui considère que s'associer à des Hémériens est le comble du déshonneur, la soupçonner d'une telle infamie le rend malade.

Mais même Kunnias, dont les yeux ne voient rien, n'a pu rester aveugle ce soir-là. Les images restent imprimées sur sa rétine, gravées dans son cerveau. Elles tournent dans son esprit à la manière d'un spectre, d'une ombre qui vient le tourmenter chaque fois que le visage de Skuma flotte dans ses pensées.

Le baiser. Leur peau qui se touche, leurs mains qui se caressent, leurs bras qui s'enlacent. Leurs yeux qui s'accrochent, même après qu'il les ait séparés.

Rage. Incompréhension. Brûlure.

Les poings de Kunnias se crispent. Il s'empresse de les relâcher. Il a de plus en plus de mal à refréner ses pulsions colériques.

Les réponses que lui a données Skuma étaient parfaites. C'était exactement ce qu'il avait envie d'entendre. Pourtant, il n'est pas satisfait. L'inquiétude continue de bouillonner dans ses veines. L'inquiétude ou la rage ?

Il a l'air d'une bête qui tourne en rond dans sa cage, aux aguets. Trop longtemps retenue derrière les barreaux, prête à frapper au moindre pincement. Emprisonnée dans ses ronces.

Une idée folle germe dans son esprit. Une idée dangereuse. Une idée sournoise. Une idée qui achèverait de l'ensevelir sous les ronces. Il tente de se raisonner, mais c'est trop tard. L'idée est là, enracinée dans son cœur, elle ne le quittera plus. Il a bien trop envie d'écouter ses murmures ensorceleurs. Bien plus que le chuchotement des fleurs, le clapotis de l'eau.

Il va suivre Skuma.

La prochaine fois qu'elle sortira en ville, il la suivra, et l'orage qui tourmente son cœur s'apaisera enfin. Ou se déchaînera dans toute sa violence.

Le vent souffle plus fort. La terre frissonne. Je n'ai pas pu m'en empêcher.

Il la suivra, et s'assurera une bonne fois pour toutes que le bon sens dont elle a fait preuve n'est pas une illusion. Et que les Hémériens savent où est leur place.

***

Le ciel pleure ce soir. Pourtant, Skuma sort de l'Académie, la capuche de son manteau rabattue sur son visage.

Excitation. Impatience. Allégresse.

Sans s'en rendre compte, elle piétine les flaques d'eau éparpillées sur le sol, éclabousse son pantalon de quelques gouttes de boue. Elle salit ses chaussures, frissonne sous son manteau. Mais elle n'en a que faire. L'enfer aurait pu se déverser sur sa tête, elle n'aurait pas renoncé à sortir.

Ce n'est donc guère étonnant qu'elle ne remarque pas l'ombre qui se glisse derrière elle à la seconde où elle s'aventure dehors. Une ombre au manteau bleu, aux yeux sombres et au cœur orageux. Une ombre qui brûle bien trop pour craindre le déluge.

Excitation. Impatience. Crainte.

Plus Skuma s'aventure loin du cœur de la ville, plus elle s'enfonce dans les rues inondées, plus Kunnias s'acharne à la suivre, à marcher dans le moindre de ses pas. Les épines s'enfoncent, s'accrochent, enferment son cœur à chaque nouveau croisement.

Le Champ de lys - PRÉQUELOù les histoires vivent. Découvrez maintenant