CHAPITRE 1 - Une terre stérile

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Solila

Riparem aurait pu être l'une de ces villes où les oiseaux chantent et où le soleil brille, sans qu'on ne se soucie de rien. Elle l'avait été. Et elle aurait continué de l'être, si ses habitants l'avaient voulu... Mais tous mettaient chaque jour un zèle tout particulier à respecter la Règle. Une règle inscrite en lettres d'or dans le cœur de chacun.

Les Hémériens ne fréquentent pas les Noxains. Les Noxains ne fréquentent pas les Hémériens.

Si seulement ils avaient compris plus tôt. Si seulement ils avaient regardé de plus près... L'aube et le crépuscule se trouvaient pourtant sous leurs yeux. Chaque soir et chaque matin. Malgré tout, ils avaient décidé que le peuple du jour ne fréquenterait pas le peuple de la nuit.

Méfiance. Incompréhension. Peur.

Sur le trottoir, une fée aux longs cheveux roux, sa fille à la main, traverse la rue sans un mot. En face d'elle arrivent deux fées brunes qui les toisent de leurs grands yeux noirs, avant d'échanger un regard satisfait, sourcils haussés.

Sur la place du marché, deux rangées d'étales se font face. Les vendeurs disposent leurs marchandises en ignorant ceux qui se trouvent de l'autre côté de l'allée. Si par malheur, des yeux sombres rencontrent des yeux clairs, l'acidité du regard échangé suffit à faire rapidement baisser la tête.

Dans la queue de la boulangerie, un petit garçon aux yeux verts tombe sur une petite fille aux tresses brunes qui sort de chez elle. Lorsqu'il croise son regard, il lui tire la langue en faisant la grimace. La petite fille fronce les sourcils et s'enfuit la tête haute.

Jeu. Moquerie. Différence.

Je soupire dans un souffle de vent. Pourquoi faut-il qu'ils perdent aussi leurs enfants ? Même ces derniers ne m'écoutent plus.

Si seulement ils avaient regardé de plus près.

Vers l'ouest de la ville, en plein centre du principal quartier noxain, se dresse l'imposant bâtiment de l'Académie de Riparem. Aussi coûteuse que réputée, elle n'accueille en son sein que la fine fleur de la ville, pour former les esprits et ciseler la magie de ses élèves. Bien entendu, les Hémériens en sont exclus... Ils prennent déjà les terres des Noxains, hors de question qu'ils envahissent aussi leurs écoles.

Frustration. Égoïsme. Peur.

De toute façon, les Noxains ne comprennent pas la magie des Hémériens : l'air et le feu leur sont étrangers. Dangereux. L'eau et la terre sont les seuls éléments qu'ils considèrent comme fiables.

Aucun n'avait paru se dire que si j'avais donné ces pouvoirs – ces quatre pouvoirs, c'était parce qu'ils avaient tous quelque chose à offrir.

Soudain, le portail en fer forgé de l'Académie s'ouvre en grand et laisse apparaître Kunnias, suivi d'une douzaine de Noxains. Une flopée de jeunes fés bruns aux yeux sombres. Un sourire en coin, Kunnias réajuste son manteau bleu aux boutons argentés. Un manteau identique à celui que possèdent les autres, mais sur lui, le vêtement devient encore plus seyant. Le jeune fé s'avance au milieu de la rue, la démarche souple, entouré de ses camarades. Il regarde droit devant lui et marche sans hésitation.

Je sais déjà ce qui va se produire. Je caresse ses cheveux d'un souffle, mais il ne m'entend pas. Kunnias, pourquoi ne regardes-tu pas autour de toi ?

Ils déambulent dans les rues d'un pas joyeux. Ils ont fini leur journée de cours, alors ils peuvent sortir en ville avant de se préparer pour le bal du nouvel an. Ils s'interpellent, se charrient, éclatent de rire. Ils échangent des regards avec quelques Noxaines, se demandent laquelle ils auront la chance d'inviter à danser ce soir.

Le Champ de lys - PRÉQUELOù les histoires vivent. Découvrez maintenant