CHAPITRE 14 - Lumière perdue

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Tialvo

Il eut besoin de quelques secondes pour comprendre ce qui venait de lui arriver. Affalé sur son flanc droit, il sentait déjà la douleur se répandre dans ses bras, ses jambes, à l'intérieur de son crâne. Images et sons se heurtaient sans qu'il parvienne à les saisir, ses paupières papillonnaient difficilement.

Quelqu'un le saisit à bras-le-corps pour le remettre debout, un autre le retint par derrière pour l'empêcher de vaciller. Tialvo appliqua ses paumes contre ses tempes, dans l'espoir de réduire les pulsations qui enserraient son crâne. Lorsqu'il retira ses mains, un filet de sang coulait le long de ses doigts.

Espe de bashro !

L'injure que cracha Elhonro suffit à le faire sortir de sa stupeur. Il se dégagea des Hémériens qui l'entouraient et s'avança de quelques pas, juste à temps pour voir son beau-frère se jeter sur Kunnias et l'envoyer au sol.

Le Noxain laissa échapper une grimace de douleur, mais ne tarda pas à la remplacer par une expression belliqueuse. Tous ses traits, tendus à l'extrême, se tordirent de colère.

— C'est à moi que tu devras te mesurer, gronda Elhonro d'une voix glacée.

Le cœur de Tialvo sombra dans son ventre. Ses pieds restaient collés au sol, ses cordes vocales refusaient de lui répondre. Il ne parvenait pas à articuler le moindre mot, ni à formuler la moindre phrase cohérente dans son esprit. Peut-être parce qu'au fond de lui, il savait que toutes les paroles du monde n'y changeraient rien. Que malgré ses efforts, il était condamné à rester spectateur. Spectateur d'une haine et d'une violence qui bourdonnaient autour de lui, pulsaient dans ses oreilles, s'accrochaient à sa peau.

Il voyait la violence dans les prunelles sombres de Kunnias, dans les poings crispés d'Elhonro, dans les postures menaçantes de tous les autres, Hémériens ou Noxains, qui se toisaient de chaque côté, prêts à se jeter les uns sur les autres au moindre signal. Comme une meute de loups défendant un morceau de viande.

Il sentait la violence. Tout respirait la violence. Il aurait voulu fermer les yeux, se boucher les oreilles, se rouler en boule dans un coin jusqu'à ce que tout soit fini, comme s'il ne faisait qu'un cauchemar.

Et pourtant, il ne parvenait pas à détacher son regard de Kunnias qui se mettait debout, d'Elhonro qui bandait tous ses muscles. Il ne détourna pas la tête lorsque le jeune Noxain se jeta sur son beau-frère, ni lorsque celui-ci riposta d'un violent coup de poing dans la mâchoire. Il voyait sans regarder, il entendait sans écouter. Est-ce qu'il respirait encore ?

En quelques secondes, les deux roulèrent dans la poussière. Coups, gifles, cris, grognements. Ils se battaient comme des chiens.

Et personne ne disait rien. Personne ne faisait rien. Tialvo ne faisait rien. Il se contentait de regarder et de hurler en silence.

Elhonro prit bientôt l'avantage sur Kunnias, le maintenant au sol d'une poigne de fer. Kunnias se démenait au sol pour se libérer, mais Elhonro était trop fort. Il ne faisait pas le poids. Un coup. Deux coups. Trois coups.

Trois bleus.

Trois humiliations.

Kunnias poussa un grondement de rage, qui se transforma à moitié en un gémissement de douleur.

Une seconde plus tard, une longue liane repoussait Elhonro sur le côté, lacérant son visage de la pointe de ses épines. Kunnias se releva d'un bond, ses yeux alerte vrillés sur Elhonro. Ce dernier se releva lentement. L'air stupéfait, il passa une main sur son visage, et découvrit la fine traînée de sang laissée par les épines. Son regard s'attarda sur la longue liane qui se balançait à côté de Kunnias. Sur les épines tranchantes qui la parsemaient.

Le Champ de lys - PRÉQUELOù les histoires vivent. Découvrez maintenant