Michel
Cela faisait quatre jours que la guerre avait été déclarée et un peu plus de deux que nous pataugions dans cette immonde tourbière qu'étaient les Marais Boueux. Les nuits étaient affreuses, des prédateurs étaient tapis dans tous les coins et les bzeurs, de petits insectes aux dards mortels, voletaient un peu partout.
Serge n'arrêtait pas de se plaindre de nos effroyables conditions de vie, me rendant encore plus nerveux. Il avait raison, les autres étaient des enculés bouffeurs de papayes.
Le carnage débuta à treize heures, lorsqu'un escadron de pélicans nous assaillit par surprise. Leurs serres d'acier nous prirent au dépourvu, tuant une dizaine de guerriers. Des crocodiles et des grenouilles, camouflés dans la boue, se joignirent à eux et nous encerclèrent de toutes parts, bientôt rejoint par des dizaines et dizaines d'animaux d'eau. Nous n'avions aucune chance. Les marais, c'était leur terrain, pas le nôtre.
Je me surpris à me jeter sous une grande souche pour fuir la violence des combats. Ma conscience s'était scindée en deux : une part me disait que ce n'était pas digne d'un lion de stade quatre, et l'autre que l'honneur, c'était bon pour les morts. Ce fut la seconde qui l'emporta sur la première en moins de trois minutes.
Cinq heures de terreur, peu de personnes savent ce que ça signifie. La peur vous envahit, grandit, grandit encore, jusqu'à être plus grande que vous. Alors, votre corps est prêt à imploser. Votre esprit se fissure, se craquelle inexorablement. Les valves cèdent, les larmes coulent, brouillent la vue. Mais crier est impossible, le bruit vous ferait repérer. Ainsi, votre être doit garder tout ça pour lui. Les muscles tremblent tout entiers, se figent, le cerveau s'affole. Et pendant cinq heures, le calvaire continue.
Quand je sortis du tronc, il faisait nuit noire. Personne n'était là, juste des cadavres par dizaines. Les deux armées avaient dût se retirer. Mon instinct me hurla de fuir et je partis à l'aveuglette dans la boue. La sensation de l'eau froide sur mes cuisses me ramena à la réalité et je m'énervai contre moi. J'avais été lâche, je ne méritais pas de vivre. Un poltron comme moi ne valait rien. Cinq ans d'entraînement pour ça... Honteux. Je marchai au hasard, j'errai. Ma colère m'alimentait en énergie et je doublai d'allure. Je donnai de violents coups de patte rageurs dans les troncs pour me défouler, mais mon mépris de moi-même semblait immortel.
Ce fut seulement au petit matin que la fatigue me prit et que je m'affalai sur un tronc en décomposition. Je fus réveillé quelques heures plus tard par une sensation étrange sur ma peau. J'ouvris les yeux. Un filet. On m'avait jeté un filet. Je tentai de me relever, en vain. Deux visages apparurent au-dessus de moi. Celui de Serge et d'une lionne de stade quatre.
— Vous êtes en état d'arrestation pour avoir déserté, Michel Raroper, lâcha dédaigneusement cette dernière. Votre nom sera à jamais couvert de déshonneur et vous serez exécuté sur la place publique de Murub parmi les vôtres, les pleutres !
— Serge ?
— Je ne te connais plus, tu n'en vaux pas la peine.
Ils me tirèrent derrière eux, dans la boue. J'avais tout perdu. C'était fini. Je songeai à mon père, à la capitale. Il avait placé tant d'espoirs en moi. Ma seule consolation serait de ne pas avoir eu de descendance. Personne ne verrait son destin gâché par ma lâcheté.
Les jours s'enchaînèrent, toujours plus longs. S'en est-il passé deux ou dix, je ne saurai le dire. Tout ce dont je suis sûr, c'est que lorsque nous parvînmes enfin à la sortie des marais, il y eut une grande agitation, puis le noir complet.
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Le Totem - T1 - Une ère de haine
FantasyLe totem des dieux, un artéfact légendaire qui assurait une vie heureuse et paisible aux habitants des quatre royaumes, a été détruit, répandant une vague de haine sur le monde entier. Les souverains, devenus à moitié fous, s'engagent alors dans une...