Michel
Nous passâmes ce qui parut une éternité, plongés dans la semi-obscurité inquiétante de notre cellule, à attendre nous ne savions trop quoi. L'horrible odeur de moisi qui régnait en maître sur les lieux nous avait presque achevés lorsque, vers dix-neuf heures, des gardes vinrent nous chercher pour nous mener jusqu'au bureau royal. Derrière se trouvait Achille, souriant.
— Bonsoir, mes amis. J'ai la joie de vous apprendre que Hector Ier n'est plus. Il est mort dans l'arène, transpercé par mes cornes. Il était robuste, mais le flambeau est passé à Achille III, dit le grand Achille, à savoir moi.
— Vous pouvez pas savoir comme on est comblés, ironisa Robert.
— Je me doute. En tant que roi, j'avais envie d'accomplir une bonne action pour bien commencer mon règne. Je vous propose la liberté et mon pardon le plus sincère pour votre tentative de meurtre en échange d'un petit service. Je connais votre secret, inutile de me le cacher : vous faites partie d'un mouvement fort fâcheux nommé la rébellion. Menés par Kraftig, votre but est simple : anéantir l'économie des quatre royaumes à travers d'immondes attentats.
Comment pouvait-il déjà être au courant ?
— Ce ne sont pas des attentats ! s'énerva Jeanne.
— Non ? Faire exploser le palais d'Édouard II, détruire mes stocks d'armes, capturer nos scientifiques et généraux, tenter de saboter les duels... Vous appelez ça comment, vous ?
— Les stocks d'armes ont été détruits sous le règne d'Hector, pas sous le vôtre, commenta Marie.
— Il n'empêche, vous êtes des terroristes ! C'est pourquoi, en échange de votre liberté, j'exige que les rebelles cessent toute action envers mon royaume et celui de mon allié, Édouard II. Vous pouvez cependant vous défouler sur ceux de l'eau et de l'air, on vous dira rien.
Robert grimaça avant de lâcher « on accepte » sous le regard choqué de Jeanne et celui amusé de Marie.
— Par contre, menaça le taureau, si vous me la mettez à l'envers et que les attaques continuent, vous le paierez. Très cher. Autant les rebelles que vous quatre. Et vous vivrez un sort bien pire que la mort.
— D'accord, accepta le cochon.
— Monsieur le roi, intervint un chirurgien, leur compagnon, Julien, peut reprendre la route. Il lui faudra tout de même éviter tout mouvement brusque et beaucoup de sommeil. Un médecin confirmé pourra lui retirer ses points de suture d'ici trois semaines.
— Hahaha, on peut dire que je l'ai pas raté ! Soit, je l'autorise à rejoindre ses collègues. Rendez-leur leurs bagages.
Et c'est ainsi que le lendemain, une fois équipés, nous repartîmes en direction du village rebelle. Nous avancions lentement, ralentis par notre compère au torse encore douloureux. Il traînait la patte, serrant les crocs dans une souffrance muette. Nous finîmes par nous arrêter plus tôt que prévu, de crainte que ses points ne lâchent.
Nous étions parvenus à Kirol, à un peu plus de quarante kilomètres de notre destination. Nous arriverions certainement le jour suivant.
Nous nous posâmes de nouveau chez Jeanne et déballâmes nos quelques restes de nourriture. Il n'y avait plus grand-chose. Un demi-saucisson et une dizaine bouts d'une baguette vieille de trois jours. Il fut décidé que chacun aurait droit à quatre tranches de charcuterie et un morceau de pain dur.
Tandis que Robert préparait méticuleusement nos portions, un vent frais se leva, accompagné de quelques flocons, qui tapissèrent peu à peu la rue. Jeanne ferma porte et volets et alluma quelques bougies, il était hors de question de mourir d'hypothermie après tout ce que nous avions vécu.
Malgré tout, le froid s'invita parmi nous, s'insinuant entre tous les espaces libres et rampant jusqu'à nos pattes tel un serpent. Nous nous équipâmes de couvertures et commençâmes à casser notre maigre croûte.
La semi-obscurité ambiante, ajoutée à la température de la pièce, amena avec elle son lot de pensées sombres. J'avais tout raté, trahissant la confiance de mon groupe, de Kraftig et des rebelles. À cause de moi, le royaume de la terre allait continuer d'envoyer ses soldats au front, causant des milliers de morts. J'avais causé des milliers de morts.
— T'as pas l'air dans ton assiette, remarqua la truie.
— C'est normal, plaisanta Robert, on est en train de crever de froid dans ta cage à lapin ! Comment tu veux qu'on soit heureux ?
— N'importe quoi ! rit-elle.
— Je m'en veux d'être venu, déclarai-je.
Le cochon se tourna vers moi, puis secoua la tête, exaspéré.
— Tu es irrécupérable ! C'est du passé, d'accord ? On fait tous des erreurs, plus ou moins grosses, je te le concède, mais on s'en fiche. Regarde Marie, dit il en désignant la lionne, avachie sur sa couverture à quelques pas de moi, c'était une horrible connasse, il y a trois mois. Elle voulait tous nous décapiter, souviens-toi, mais est-ce qu'elle en fait tout un plat ? Non.
La concernée se redressa, mi-piquée, mi-amusée.
— Et regarde Robert, y'a trois mois il s'est bourré la gueule comme un ivrogne et a fait de moi une hors-la-loi, est-ce qu'il culpabilise ? Je pense pas.
— C'est vrai, admit le porc, parce que finalement ça s'est avéré être une bonne chose de t'avoir à nos côtés. Tu vois, Michel, nos erreurs, on les fait parce que sinon la vie serait triste. Tu imagines un monde parfait où personne ne se trompe ? C'est chiant à mourir !
— Ce qu'il veut dire, se moqua Marie, c'est que tu nous fais l'animation.
— Pas tout à fait, la corrigea Robert, mais dans l'idée c'est ça. C'est du passé, alors fais-moi plaisir et oublies tout ça.
— Bien dit ! s'exclama Jeanne. T'as plus intérêt à te morfondre, t'as compris ?
Je hochai la tête.
— Oui, je vais essayer.
— Non, me contredit le cochon en me fixant droit dans les yeux, tu vas réussir.
Tous les regards, de ceux déterminés de Robert et Jeanne, à celui, un peu perdu, de Frank, en passant par celui, fatigué, de Julien, et celui, compatissant, de Marie, étaient braqués sur moi. Ils croyaient tous en une seconde chance pour moi.
Je respirai un bon coup, pris par l'émotion et approuvai simplement :
— C'est vrai, je vais réussir.
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Le Totem - T1 - Une ère de haine
FantasyLe totem des dieux, un artéfact légendaire qui assurait une vie heureuse et paisible aux habitants des quatre royaumes, a été détruit, répandant une vague de haine sur le monde entier. Les souverains, devenus à moitié fous, s'engagent alors dans une...