Robert
J'étais assis au centre de l'unique pièce de notre logement en compagnie de Julien, Michel et Marie, lorsque Jeanne débarqua. Elle revenait directement de la manif et boitait comme mon oncle.
— Ça va ? m'inquiétai-je.
— Bof, j'ai vu mieux...
Je m'approchai, suivi par un Michel intrigué, et m'aperçus de la plaie béante qui lui barrait l'épaule. Elle s'étendait sur cinq bons centimètres et saignait légèrement malgré l'épaisse couche de graisse. Je détournai le regard, nauséeux.
— Comment tu t'es fait ça ?
— Une centaine de flics et de soldats ont débarqué par surprise. Ils ont pas fait dans la dentelle.
— Et tu te promènes avec une blessure de cette taille comme si c'était normal ! Il te faut un médecin. La tortue, y'avait marqué « médecin généraliste » sur sa plaque, elle exerce encore ?
Marie lâcha un maigre « oui » depuis son coin de pièce.
— Alors on y va.
Je me tournai vers l'ours, en train de serrer les dents sur une couverture.
— Julien, tu viens aussi. Il est hors de question que tu restes avec des brûlures de cette taille.
Je sortis et me dirigeai vers la baraque de la reptile, mes deux bouts de viande d'amis sur les talons. Je toquai trois grands coups sur l'un des battants de la porte en chêne. Elle ouvrit et nous fit entrer d'un signe de tête. L'intérieur était moins glorieux que la façade. Son carrelage fendu par le temps et tapisseries délavées dataient bien de l'époque du traité.
— Vous êtes mes troisièmes patients, nota-t-elle. Cette révolution en a abîmé plus d'un.
Elle partit chercher des bandages en tissu et de l'alcool à quatre-vingt-dix degrés. Elle en versa sur l'entaille, faisant hurler la pauvre truie, puis pansa la blessure. Ensuite, elle saisit un pot de crème et en badigeonna Julien.
— Voilà, pour elle c'est soigné. Pour lui, il faudra surtout du repos. Tu as de quoi payer ?
— Non, on est fauchés, mais on vous a loué l'appart pour une semaine et on ne sera restés que quelques jours...
— Mmm... Tiens, je t'offre deux de mes onguents. Ils te serviront plus qu'à moi, je vais bientôt prendre ma retraite. J'ai soixante-cinq ans et j'aspire à un peu mieux qu'une vie de contrebande dans un quartier pourri. J'ai toujours rêvé d'avoir un chat.
— Vous faites ce que vous voulez, hein. Tant que j'y suis, vous auriez de quoi m'empêcher de péter les plombs dès que je vois du sang ?
Elle parut soudainement intéressée.
— Qu'est-ce que tu appelles péter les plombs ?
— Perdre tous mes moyens et repenser au massacre de Poissonia Village dans ses pires détails.
— Je savais pas qu'il y avait eu un massacre. Ça s'est passé quand ?
— Au début de la guerre.
— En tout cas, j'ai rien pour toi. Ça m'a tout l'air d'un bon vieux traumatisme. Ça se soigne en s'y confrontant, c'est comme la peur. Affronte-le et ça passera.
Si je comprenais bien, elle me diagnostiquait de trancher des gorges. Jeanne et Julien sortirent et, alors que j'allai leur emboîter le pas, une idée me vint.
— Au fait, pour la sergente, c'est quoi cette histoire de dose ?
Elle sourit.
— Demande-lui, c'est pas à moi de te répondre.
On rentra à l'appart où les deux lions nous attendaient pour partir. On dormit une dernière nuit à Murub et on rejoignit le village de la montagne. On arriva après quatorze longues heures de marche et quelques escales.
Le vieux nous accueillit et mit illico Julien au lit. On attendit pendant près d'un mois le retour des autres missions et on apprit le succès de la nôtre : le roi, sous pression et doté d'une autorité discutable, était revenu sur sa décision. Ensuite, notre patron désigna d'autres personnes pour les suivantes. En tout, on a bien patienté trois mois avant qu'une nouvelle mission ne nous soit dédiée. Ça permit à Marie d'enfin bien s'intégrer et Julien a pu récupérer sans problèmes. La seule chose qui n'avait pas changé était cette phobie du sang. J'avais pourtant tenté de m'y confronter, comme me l'avait conseillé la tortue, mais je n'avais fait qu'empirer la situation et des rêves sordides faisaient maintenant leur apparition.
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Le Totem - T1 - Une ère de haine
FantasíaLe totem des dieux, un artéfact légendaire qui assurait une vie heureuse et paisible aux habitants des quatre royaumes, a été détruit, répandant une vague de haine sur le monde entier. Les souverains, devenus à moitié fous, s'engagent alors dans une...