Chapitre 11

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Robert

J'avais bien fait de suivre Jeanne et Julien, on avait passé une soirée incroyable : dix bars, trente cocktails et des tonnes de chants. C'est vrai, on s'était découvert des talents de chanteurs exceptionnels. On envisageait presque de monter un groupe. Finalement, à cinq heures du mat, on abandonna toute idée de carrière et on se décida à chercher les autres.

Bon, on était un peu imbibés, on s'est perdu et, logiquement, on a assez vite fini au poste. Un tigre de stade trois me regardait dans les yeux.

— Vous n'avez pas honte ? À votre âge, encore oser s'alcooliser de la sorte !

— C'est mieux que si on avait dix ans.

— Vous vous foutez de moi ?

— Non ! Nonononon !

Il sortit les griffes.

— Vos noms !

— Ro... Robert, je crois.

— Votre nom de famille.

— Oh là, ça fait beaucoup, là ! Qu'est-ce que j'en sais !

— Et les autres ?

— Ben vous avez Jaja et Juju.

— Hein ? Comment ça ?

— Ben moi c'est Bébert, elle c'est Jaja, et lui c'est Juju.

— Puisque vous ne voulez pas coopérer, montrez-moi votre marque d'identité.

C'était une inscription au fer rouge appliquée sur chaque citoyen, indiquant son nom et prénom. Il les observa et les nota sur un coin de feuille. Il demanda à ses collègues de lui amener nos dossiers, avant de se rappeler que nous étions tous trois originaires du royaume de la terre et donc en dehors de ses responsabilités.

— Vous avez quel âge ? reprit-il, agacé.

— Vingt-huit ans !

— Et moi trente et... et quelques, par-là, ajouta Julien.

— Et moi vingt-cinq, renchérit Jeanne.

— Bien, pour cette fois seulement j'accepte de vous laisser partir sans amende. Par contre, vous ne pouvez pas rester comme ça. Quelqu'un doit venir vous chercher.

— Eh beh y'a l'pleurnichard et la sergente, là.

— Comment ?

— Michel, je crois qu'il s'appelle. Il arrête pas de chouiner parce qu'il a fugué.

— Il a fugué ?

— Oui, de l'armée.

— Il a déserté, plutôt, non ?

— Ouais, c'est pareil.

Mes deux amis s'esclaffèrent.

— Oui, c'est pareil, affirma l'ours.

— Vous êtes vraiment torchés, diagnostiqua le flic. C'est quoi son nom ?

— Comment tu veux que je sache ? Par contre, je connais celui de la sergente. C'est Com, non Om. Non, non je sais, c'est Moc !

— La sergente Moc ? Je la connais un peu. Elle a fait ses classes militaires en section policière avant de se tourner vers l'armée. Qu'est-ce qu'elle fait ici ?

— Je sais pas, à la base on voulait partir qu'à trois et puis y'a ces deux cons qui se sont rajoutés.

— D'accord. D'où venez vous ?

— Poissonia Village. C'était affreux. Y'avait plein de...

— Oui, oui... Et les autres ?

— Kirol, pas loin de Rokas, expliqua Jeanne.

— Et moi Rokas, ajouta Julien.

Le félin resta pensif quelques instants avant de demander :

— Vous savez où ils sont ?

— Aucune idée, peut-être un hôtel. C'est bientôt fini, les questions ? J'ai mal à la tête.

— C'est bon, j'ai fini. Asseyez-vous dans un coin.

Il appela d'autres flics qui sortirent dans la rue. Ils revinrent peu de temps après avec les deux lions. Ils nous toisèrent avec le moins de respect possible, on l'avait sûrement mérité, et s'apprêtaient à nous ramener avec eux lorsque le tigre ordonna :

— Asseyez-vous.

Ils obéirent et il continua :

— Vos noms et prénoms.

— Marie Moc.

— Michel Raroper.

— Bien, soupira-t-il en les inscrivant sur une feuille, pourquoi n'êtes-vous pas sur le champ de bataille ? Il me semble que j'ai devant moi une sergente et un soldat.

Moc paraissait sur le point d'exploser. Elle jeta un regard noir à Michel.

— C'est cet abruti, il a déserté.

— On me l'a dit, oui. Il sera puni comme il se doit. Mais vous, que faîtes-vous là ?

— Je le raccompagnais à Murub pour son exécution quand ces deux guignols m'ont capturée et forcée à collaborer.

— Développez.

J'avais beau être imbibé, je voyais bien que ça commençait à sentir le roussi pour moi. Donc, sans chercher plus loin, j'ai pété. Comme vous avez dû le comprendre, un pet de cochon a des effets dévastateurs, et tout le monde sauf Jeanne s'évanouit. Alors, on a fait quelque chose d'un peu bizarre : il s'avère que nos cerveaux shootés ont trouvé excellente l'idée de tirer nos trois compagnons hors du commissariat et de les emmener jusqu'à... on ne savait pas trop où en fait. Le plus étrange c'est que ça a vraiment fonctionné, les gens nous regardaient de travers, mais personne ne s'interposa. On est donc sorti de la ville avec nos gros tas de viande de camarades et on s'est posé contre un arbre. La gnôle finit de nous assommer et on s'endormit.


Le Totem - T1 - Une ère de haineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant