Chapitre 20

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Michel

Les heures s'écoulèrent lentement, très lentement, jusqu'à ce que je sois résolu à me lancer. L'atmosphère de ma chambre était devenue lourde, chargée comme un orage prêt à éclater, et ses moindres recoins d'ombres s'étaient peuplés de mes pires craintes, tandis que mon cœur oscillait entre la vie et la mort, comme indécis sur le rythme à adopter.

Le moment était arrivé.

Après une soirée passée à m'apitoyer sur mon sort, j'allais devoir agir. J'allais devoir tuer.

Je sortis discrètement de ma chambre, inquiet. Dans le couloir, une horloge indiquait minuit, son tic tac résonnant comme les pas d'une créature de métal. J'hésitai à bouger lorsqu'une patte se posa sur mon épaule.

Mon cœur manqua de mourir pour de bon et je me retournai, paniqué. C'était Julien. Je soufflai un bon coup.

— Où sont les autres ? chuchota-t-il.

— Je... je pense qu'ils ne vont pas tarder.

Nous attendîmes longtemps. Si longtemps que nous commençâmes à nous endormir. Nous allions nous assoupir lorsqu'une troupe de lézards de stade trois et quatre surgit de l'angle du couloir. Ils nous chargèrent et nous encerclèrent, dagues aux pattes.

— On les bute ? se questionna l'un d'entre eux.

— Je sais pas, répondit son collègue en haussant les épaules.

— Faudrait se renseigner auprès du chef.

À ces mots, Julien se redressa sur ses quatre membres et s'étira légèrement, créant un mouvement de recul chez les reptiles.

— Plus un geste, nous menaça l'un d'entre eux, si vous bougez encore d'un poil, je vous égorge !

— Qu'est-ce que vous nous voulez ? demanda l'ours en se positionnant devant moi, comme pour me protéger.

— On veut votre vie, déclara une voix grave.

L'élan de stade cinq qui nous servait de voisin au dîner venait de sortir de sa chambre et se dirigeait droit vers nous.

— Tuez-les, ordonna-t-il.

Tous nos adversaires levèrent leurs armes, prêts à frapper, lorsque mon compagnon leur intima simplement :

— Stop. Si vous faites ça, vous le regretterez.

— Ah bon ? ricana le cervidé. Et on pourrait savoir pourquoi ?

— Parce que Hector nous a demandé de tuer des participants, pas des collègues.

— Alors il vous a menacés, vous aussi ? Dans ce cas... Les gars, on remballe ! On change de cible !   

Puis il se tourna vers nous.

— Bonne continuation !

Ils s'éloignèrent et Julien m'aida à me relever.

— Visiblement, on est pas les seuls à se faire mener par le bout du museau. Hector a bien prévu son jeu.

Il soupira puis reprit :

— Il semblerait que les autres ne se ramènent pas avant l'aube. On va devoir agir à deux. Je te propose de commencer par Achille, qu'est-ce que t'en dis ?

— Je ne sais pas... Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée. Il a une famille qui compte sur lui et...

— Il fout la frousse à tout le monde et menace de remporter son duel, c'est le moment ou jamais de nous en débarrasser. Tu préfères la famille d'un prétentieux fou dangereux ou la rébellion ?

Je restais silencieux, ne sachant quoi dire.

— Bien, dans ce cas, conclut l'ours, on va buter Achille.

Je hochai doucement la tête.

La chambre de notre victime était fermée à clef et Julien dut défoncer la porte. Dans le plus grand des calmes, bien sûr. Seuls quelques craquements se firent entendre. 

Mais comment savait-il faire ça ?

— On nous apprend des choses utiles dans l'armée de la terre, comme à nous servir de nos griffes, se vanta-t-il comme s'il avait lu dans mes pensées.

On pénétra dans l'antre sombre de la bête de compétition. Elle dormait comme un tas dans sa couchette. Mon compagnon me fit un signe de tête et dégaina à nouveau les poignards qui lui poussaient aux pattes. Il se plaça juste au-dessus du cou du bovin et abattit sa paluche.

L'instant d'après, il gisait au sol à plusieurs mètres de notre cible. Cette dernière venait de relever et de lui donner un violent coup de sabot en moins de deux secondes. On ne plaisantait pas avec les stades cinq. Le taureau chargea et me percuta de plein fouet, me propulsant hors de la pièce.

— Alors comme ça on cherche à tricher ? Vous me décevez beaucoup...

— C'est Hector qui nous y a obligés.

— Balivernes ! Vous vouliez simplement à mettre toutes les chances de votre côté, prouvant une fois de plus ma supériorité ! Aouille !

Julien venait de lui planter ses griffes dans l'arrière-train et de lui labourer les pattes. Il fit volte-face à toute vitesse et donna un coup de corne dévastateur qui ouvrit le torse de l'ours, répandant du sang partout.

— Hahaha... Les tueurs tués, comme c'est comique. Vous, le lion, je vous épargne pour cette fois. Ne vous avisez pas de recommencer.

Il dégagea le corps de Julien et retourna se coucher. Nous étions dans la panade.


Le Totem - T1 - Une ère de haineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant