Aller simple en enfer

1K 75 11
                                    

𝕊𝕠𝕝𝕖 - 𝟙 𝕞𝕠𝕚𝕤 𝕒𝕧𝕒𝕟𝕥

- Ton père te demande dans son bureau.

Je termine d'enfiler ma petite robe blanche à fleurs à toute vitesse quand l'homme de main de mon père entre sans frapper. Sa présence imposante remplit la pièce comme une ombre menaçante. Ses yeux perçants, froids comme l'acier, me détaillent, comme si j'étais un simple objet. Un accessoire dans ce manoir d'une banalité qui prend la poussière. 

Je ne suis rien. 

Rien de plus, que la fille enfermée dans sa chambre, condamnée à se taire et être invisible. 

En vingt ans d'existence, mon père ne m'a jamais convoqué dans son bureau. Cette pièce interdite, symbole de son autorité impitoyable. Il m'a toujours été inaccessible, comme si son seuil marquait la frontière entre lui et moi. Un dernier moyen de me rappeler que je n'ai pas ma place dans ma propre maison. 

Depuis ma naissance, je n'ai été qu'un insecte sur son chemin, insignifiante, tolérée uniquement parce que ma mort aurait été plus problématique que ma survie. Mon existence est une erreur aux yeux de mon père, une tache sur le tableau parfait qu'il s'efforce de peindre avec son empire illégal. 

J'ai toujours senti qu'il rêvait de m'écraser, de me faire disparaître à jamais de sa vue. Chaque fois que nos chemins se croisent dans les couloirs il ne me lance aucun regard. Il me tolère uniquement parce qu'il n'a pas le choix.

Il voulait un garçon, un héritier pour son empire de drogue, un fils qui marcherait dans ses pas, renforçant encore davantage son règne de terreur. Mais la prostituée qu'il avait choisie pour me donner la vie l'a trahi en lui offrant une fille. 

Il me considère comme faible.

Inutile. 

Pour lui, une femme n'a pas sa place dans son monde. 

Sa colère avait été si immense, si dévorante, qu'il l'a tuée de sang-froid ma mère. J'ai vu la vidéo de ce meurtre, le jour où j'ai osé demander pourquoi je n'avais pas de maman. Il l'avait filmée pour me dissuader de poser des questions, pour que je sache quel sort m'attendait si jamais je le décevais.

Son plan a parfaitement fonctionné.

Je n'ai jamais plus interrogé mon père à propos de ma mère, ni à propos de quoi que ce soit d'autre. 

L'homme de main s'impatiente devant la porte de ma chambre, tapant du pied avec nervosité. Le temps presse, comme si un compte à rebours invisible résonne dans l'air. Mon coeur s'alourdit dans ma poitrine. Si ma présence est requise c'est qu'il doit y avoir un problème. 

— Dépêche-toi, Sole, je n'ai pas toute la journée, grogne-t-il, sa voix rauque tranchant dans le silence.

Je termine de mettre mes chaussures vernies, mais mes doigts tremblent légèrement. L'homme occupe l'espace avec une telle intensité que ma pression artérielle augmente à chaque seconde. Je n'ai aucune envie de me rendre dans cette pièce, aucun désir de savoir ce que mon père veut de moi aujourd'hui. Mon instinct me hurle que rien de bon ne peut sortir de cette convocation.

Quoi qu'il ait prévu, ce n'est certainement pas pour me donner une marque d'affection. Il va se servir de moi, comme il se sert de tous ceux qui l'entourent. Je sens que ce jour, celui où je deviendrais un pion sur son échiquier impitoyable, était attendu depuis des années. Depuis toujours, je n'ai été qu'un caillou dans sa chaussure, un fardeau qu'il traîne à contrecœur. Aujourd'hui, je vais enfin lui être utile, mais ce mauvais pressentiment qui me hante ne me quitte pas.

ROB A BANKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant