Remord oublié

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ℝ𝕠𝕓

Lorsque je demande à Sole de descendre, je le fais d'un ton sec, sans appel. Les mots sont sortis de ma bouche avant même que je ne les réfléchisse vraiment. J'ai dit que je le ferais, alors j'exécute la moindre de mes pensées. Sinon elle reviendra me narguer, gratter la porte de ma boîte crânienne, jusqu'à devenir une obsession. Le rétroviseur me renvoie l'image de son visage sous le choc. 

Elle reste un instant immobile, figée par la surprise, ou peut-être par la peur. Ses lèvres en forme de cœur sont entrouvertes. Elles sont roses et pleines. Malgré son manque d'eau évident, elles n'ont pas gercé. Elle garde un aspect soyeux.

Une certaine douceur.

Une sucrerie qu'on a envie de goûter.

Un bonbon interdit.

Je regrette tellement de ne pas valoir un cure-dent avec moi en ce moment. J'ai besoin de canaliser mon esprit sur autre chose. Il faut que je trouve un moyen d'ordonner mes pensées. Cette fille est brisée et possède plus d'une fissure. Je sais les reconnaître puisque nous portons la même douleur sur nos épaules : celle de l'abandon. 

Mais elle est la victime. Celle qui a été délaissé. 

Alors que moi, je suis le déserteur. 

Celui qui a lâchement abandonné. 

Il est hors de question que je me laisse amadouer. Je détourne mon attention vers la ruelle sombre en face de notre véhicule. Je commence à compter les escaliers de secours d'un immeuble. Je dois arrêter de l'analyser. Je refuse que mon esprit abîmé garde le visage apeuré de cette fille anéantie.

Je ne suis pas garant d'elle.

Je ne lui dois rien.

Puis, lentement, elle obéit. Ses mouvements sont lents, presque hésitants, et je peux voir du coin de l'œil à quel point elle est fragile, à quel point elle est brisée. La porte du van s'ouvre dans un grincement, laissant entrer un vent glacial qui balaie l'intérieur. Elle passe devant Jarek sans lui accorder un regard.

Mais moi, je la regarde descendre du van, détaillant sans vraiment le vouloir chaque aspect de son apparence. Ses longs cheveux noirs bouclés tombent en cascade sur ses épaules maigres. Ils encadrent son visage marqué par la peur.

Ses yeux, noirs et profonds, me fixent un instant, remplis d'un mélange d'incrédulité et de terreur. Elle ne détourne son attention vers la ruelle en face de nous. Sa peau halée, autrefois sûrement éclatante, est terne, sans vie, tirée par la maigreur qui trahit la sous-alimentation dont elle a souffert sous les mains de Kros. 

Quand elle fait face à la rue, la rage gronde dans mes veines. J'ai envie de nettoyer cette tâche de sang sur son tee-shirt. Je rêve d'effacer les cicatrices que ce connard a pu laisser. Si j'avais pu prendre encore plus à ce malade...

Je l'aurais fait sans hésiter.

Un léger remords me traverse, comme une aiguille percerait une bulle. Voir cette fille, pieds nus et simplement vêtue d'un long tee-shirt, s'éloigner seule dans cette rue sombre me serre le cœur une seconde. 

Mais je chasse rapidement ce sentiment. Ce n'est pas le moment de faiblir. Les complications, c'est ce qui nous tue dans ce métier. Et cette fille, malgré toute la misère qui l'entoure, n'est qu'une complication de plus.

Un risque que je ne suis pas prêt à prendre.

- Cameron, démarre, dis-je brusquement. 

ROB A BANKOù les histoires vivent. Découvrez maintenant