Chapitre 9

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Jeudi 01/02. 17:13
Seoul National University, Gwanak Campus. Amphithéâtre 7.




Ils ont dit qu'ils n'oublieraient jamais mon nom. Ni aujourd'hui, ni demain.

Parce que je leur avais arraché leur être aimé.

Ça m'a détruit.

J'étais un meurtrier. Pas seulement pour ce jour-là, ni pour le lendemain, mais pour toujours.

Je leur avais enlevé ce qui leur donnait la force de sourire, de rire, de vivre.

Ils ont dit que j'étais un monstre, et bien d'autres choses qui ne m'ont pas été traduites. Ils me hurlaient tous dessus, perchés sur leurs longues jambes, tandis que moi, petit et rendu minuscule, je me terrais en boule dans un coin de la pièce. J'attendais que ça passe. Ils me lançaient des centaines de mots dont la prononciation étrange me semblait malicieuse. Leurs paroles s'envolaient, trébuchaient parfois sur des R et des K avant de reprendre leur envol. Et alors qu'on m'insultait pour ce que mon nom évoquait, je me suis mis à chérir cette langue étrangère, rien que pour la magie qu'elle renfermait.

C'est seulement parce que je ne me suis pas dressé contre eux que je suis encore debout. Si j'avais suivi la logique universelle manichéenne, si je m'étais levé du côté opposé, si je n'étais pas sorti de cette bulle de haine pour me tenir à l'écart et avoir une vue d'ensemble... Peut-être que moi aussi je serais tombé dans l'illusion primitive du chasseur et du chassé, du méchant et du gentil, du "eux" contre "nous".

Moi, j'ai vu un "eux" blessé cherchant un sens à travers la vengeance. Car c'est ça, l'humain. C'est un "nous" qui déteste un "eux", sans chercher à faire de distinction. C'est une masse contre une autre. Mais surtout, c'est sans fin. Ce n'était pas moi, Kim Hyunjin, en particulier. Pas mon corps, pas mon cœur, pas mon âme. C'était mon nom. Celui que je traîne sans savoir pourquoi. Celui qui était placardé sur cet obus. C'est lui qui m'a entraîné là-dedans. Je n'étais pas le commanditaire. Mais j'étais le fils de celui à qui on avait commandé cette bombe. J'étais le fils de celui qui l'avait fabriquée. J'étais le de... La masse n'avait pas fait de distinction. Ils m'avaient pris, moi, car accessible, pour combler leur quête de sens. Parce que pour eux, me blesser, c'était blesser l'entité. Parce que je portais ce nom que je n'avais pas choisi, je devais porter tout ce qu'il représentait.

Je n'ai jamais parlé de ce qu'il s'est vraiment passé là-bas.

Jamais.

Pas parce que c'était trop dur pour moi, mais parce que je sais que ce serait trop dur à accepter pour les autres. Je savais qu'ils ne comprendraient pas, qu'ils ne s'attarderaient pas à essayer de comprendre, je savais qu'ils ne voudraient que se venger. Parce que l'humain est ainsi. C'est dans sa nature. Il ne peut pas simplement se réjouir de retrouver l'être perdu. Il doit chercher plus loin. Chercher un sens. Chercher une solution, bien souvent dans la vengeance. Mais la violence engendre la violence. Ainsi commence la fin de notre civilisation.

De cette expérience, je ne garde que la peur, la magie, et une vision affaiblie.

— "Remets juste tes lunettes, Hwang. "

Lentement, je retire ma main que j'avais posée devant mes yeux pour les protéger de l'agressivité des luminaires, et je pose les yeux sur ma voisine qui pianote sur son ordinateur sans se laisser distraire par ma présence.

Quand est-ce que le professeur est entré ?

Doucement, je me masse l'arête du nez, les paupières closes.

— "Je ne comprendrai jamais pourquoi tu refuses de les porter ", lance-t-elle dans la foulée.

Yuna n'est évidemment pas au courant de cet incident. En fait, même ma propre famille ne le sait pas. Les seuls au courant sont mes parents, mon oncle, et ma tante.

Aᴋʀᴀsɪᴀ ᴴʸᵘᶰᶜʰᵃᶰOù les histoires vivent. Découvrez maintenant