La casserole

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« La parole est l'ombre de l'action »
Democrite

La dernière date des concerts en salle était ce soir, à Rouen. La puissance des amitiés faites en tournée faisait qu'une fois de plus, une amie pouvait héberger la jeune Caennaise. Ce n'était pas n'importe quelle ville, c'était la ville où Emma avait rencontré pour la première fois ses amis de concert, deux ans auparavant pour la tournée d'Orelsan. Pendant celle-ci, c'était la première fois qu'elle était partie dans une autre ville pour faire un concert, premières escapades en solo, premières prises de risque, premières tranches de bravoure.

C'était donc la dernière date de la tournée, dans la ville où tout avait commencé. La boucle allait être bouclée et c'était le parfait cocktail pour rendre notre Caennaise émotive. Comme d'habitude, Emma avait pris son bus bien trop tôt et, comme d'habitude, elle avait rejoint des amies devant le 106, la salle rouennaise dans laquelle Gringe allait jouer ce soir. L'attente se passa comme toutes les autres fois. La jeune femme était contente de retrouver certaines têtes qui lui étaient familières dans la file. Une fois dans la salle, c'était toujours le même rituel. Le premier rang, au milieu. Il ne lui restait plus qu'à attendre que son artiste favori débute son show.

Au milieu du concert, les premières notes de Jusqu'où elle m'aime se lancèrent. Emma appréciait beaucoup ce moment car, à chaque fois, le public chantait en chœur le couplet de Némir. C'était toujours émouvant. Ce couplet n'allait d'ailleurs pas tarder à se lancer. Gringe tendit le micro en direction du public, mais Emma commença à chanter trop tôt et sa voix avait atteint le micro. Gringe la regarda en riant avant de lui dire :

« Mais qu'est ce que tu chantes faux ! »

L'artiste, habitué à voir cette dernière toujours au même endroit, lui parlait parfois directement dans le micro sur scène. Le rappeur commença la fameuse phrase de transition qu'Emma connaissait par cœur : la phrase où il se plaignait d'au combien Caen était une ville où il n'avait pas aimé vivre. La jeune Caennaise, assez chauvine sur les bords, tiquait à chaque fois sur ces mots, mais cette fois, le rappeur l'avait regardée au moment de réciter sa tirade. Amusé par l'air agacé d'Emma, il rétorqua, sur scène :

« Oui, je sais, tu viens de Caen, mais Rouen c'est mieux ! »
S'ensuivit une longue série de :
« Non !
— Si.
— Non !
— Si.
— Non !
— Si ! »

La jeune femme s'amusait du rendu extérieur de la scène. Un mec qui dit "Si" dans le micro 12 fois d'affilé, enfin bref.
À la fin du concert, la jeune femme fit son éternel détour au stand de t-shirt, où elle avait pris l'habitude de parler avec Sidney. Alors qu'elle discutait avec ce dernier, une jeune femme vint la voir :

« Eh c'est bien toi Emma ?
— Oui ?
Emma avait l'air perplexe, elle ne connaissait pas cette personne.
— Je te suis sur les réseaux et je vois que tu fais plein de dates de Gringe !
— Ah bah c'est gentil, je vais te suivre en retour alors, c'est quoi ton nom ? »

La jeune femme partie en remerciant Emma, sous le regard interrogateur de Sidney. Elle rétorqua, amusée :

« C'est juste des fans, t'inquiète ! »

Cette parenthèse terminée, la jeune femme demanda pour acheter une affiche. Elle s'était souvent plainte du prix de celles-ci, mais, dernière date oblige, il la lui fallait quand même. Elle lui demanda si il pouvait la signer, ce qu'il accepta. De l'autre côté de la table du merch, Emma essaya de décrypter ce qu'écrivait le backeur. Lire à l'envers n'était cependant pas une habileté que possédait la Caennaise.

« Merci.. Pour.. Merci pour quoi ?
— Merci pour tout, abrutie ! »

Quelques instants plus tard, Gringe fit son apparition non loin du stand de t-shirt. Pour la dernière date, Emma s'était dit qu'elle voulait lui avouer sincèrement ce que lui avait apporté la tournée. En effet, la jeune Caennaise s'était rendue compte que les fois où elle voyait le rappeur, leurs échanges tournaient surtout autour de blagues et de second degré. Alors, pour une fois, elle avait décidé de parler à cœur ouvert. Il était vrai que la tournée de Gringe arrivait à point nommé pour la jeune femme. Elle avait été l'occasion rêvée de se vider la tête et de pouvoir s'enfermer dans une bulle, le temps de quelques week-end. Un moyen d'échapper au quotidien.

Emma s'approcha donc du rappeur. Elle remarqua la présence de Clément à ses côtés. Il était en train de filmer, caméra dans les mains. Gringe fit un check à la jeune femme avant de se tourner vers le frère d'Orelsan.

« Alors elle, ça fait 12 fois qu'elle vient ! Enfin... Pas vraiment 12, ça doit être genre 10 fois, mais c'est comme si c'était 12 ! »

La Caennaise ria nerveusement, ne comprenant pas très bien la phrase que venait de sortir l'artiste. Elle lui tendit un sac rempli de conneries, parce qu'elle ne venait jamais les mains vides. C'est alors que Gringe se mit à rire.

« Je vais le poser là, il sera très bien. »

Gringe mima le geste de poser le sac sur la table, mais arrêta son bras avant d'atteindre cette dernière, laissant le sac tomber par terre. La jeune femme rit. Elle se rendit compte qu'une fois de plus, leur échange commençait sur des vannes et elle reprit ses esprits.

« Nan, sérieusement, je voulais te remercier pour ta tournée.
Le regard amusé de l'artiste disparu pour faire place à un regard interrogateur. Elle lui expliqua brièvement l'importance que cette dernière avait eu sur son quotidien. C'est alors que Gringe sourit et lui tendit la main.
— C'est moi qui te remercie, check moi ça !
Elle répondit à son signe et le rappeur renchérit.
On se revoit vite de toute façon !
— J'espère bien.
— Bah bien sûr, on se voit en festival ! Je te mets sous invitation.
Alors comme ça on pouvait être invité en festival ? La jeune femme n'y connaissait rien et le fait qu'il puisse l'inviter à un événement où plusieurs artistes étaient présents, lui paraissait étrange.
— Euh t'es sûr que tu peux faire ça ?
— Bien-sûr, envoie-moi un dm sur Instagram. »

Emma lui fit dédicacer son affiche. Elle avait embarqué avec elle un marqueur blanc. Elle s'était dit que le blanc ressortirait bien sur le bleu du poster. Le petit détail, c'est qu'elle ne l'avait pas testé avant. Alors, quand l'artiste signa, le feutre commença à baver. Gringe essaya quand même de s'appliquer et lui dit de laisser l'affiche dans un coin quelques instants, espérant que ça sèche. C'est ce que fit la Caennaise.

Avant d'aller rejoindre ses acolytes, elle lui demanda une photo. Emma avait retrouvé une vieille photo du Skyblog de l'artiste et l'avait mise en fond d'écran. Son projet était de mettre le téléphone devant les yeux du rappeur, faisant mine de prendre un selfie et d'allumer son écran pour laisser apparaître la fameuse image. Elle mit le plan à exécution. Gringe, en voyant la photo, s'écria :

« Oh putain, tu veux vraiment que je te casse la gueule, toi. »

Emma était morte de rire, forcément. Ils prirent leurs photos et elle s'en alla. En chemin pour retrouver ses amis, elle croisa de nouveau Clément. Elle lui demanda une photo. Ce dernier accepta avec joie avant de lui dire :

« Tu as fait plein de dates de la tournée d'Orel, non ?
Emma fut surprise.
— Ouais, c'est ça !
— Ah c'est bien ce qu'il me semblait. Tu avais fait Caen, Le Mans, Bercy aussi ?
— Ouais exactement ! J'avais fait 7 dates. »

Quelle mémoire. La Caennaise le remercia du temps qu'il lui avait accordé avant de réellement rejoindre ses amis. Au moment de quitter les lieux, elle n'oublia pas son affiche. L'encre n'avait toujours pas séché. Elle la transporta donc, sans la plier, les bras écartés. Pour rappel, le poster faisait bien un mètre de large. La jeune femme et ses amis sortirent de la salle et allèrent à la voiture de l'une d'entre eux. C'est chez cette dernière qu'Emma allait passer la nuit, c'était donc dans sa voiture qu'il fallait essayer de caser l'énorme affiche, toujours sans la plier, bien-sûr. Un vrai Tetris cette affaire. La jeune Caennaise soufflait de temps en temps sur la fraîche dédicace, espérant qu'elle finisse par sécher.

ENFANT NULOù les histoires vivent. Découvrez maintenant