PROLOGUE

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WILLIAM

- Ça ne peut pas continuer ainsi ! s'exclame-t-on brusquement en déboulant dans ma salle sans même frapper à la porte.

Surpris, je relève la tête pour tomber sur le visage consterné de Lucy, ma jeune et nouvelle collègue. Face à moi, elle s'agite dans tous les sens en faisant les cent pas autour de mon bureau. Ses talons hauts donnent la mesure tandis que sa queue de cheval rousse suit le mouvement. Elle à l'air totalement dépassée par la situation, littéralement à deux doigts du craquage.

- Un peu plus et j'aurai dû appeler le samu ! reprend-elle d'une voix hystérique. Je vais finir en burn-out avant la fin de l'année, ce gosse est en train de me rendre complètement folle.

Je soupire bruyamment en comprenant ce à quoi elle fait référence, puis lui offre un semblant de sourire compatissant.

Le gamin s'est encore battu. Cette fois, c'était en plein cours de maths, entre deux explications de Lucy, il a enfoncé son compas dans le front de son voisin. Un rapport d'incident de plus à ajouter à la pile déjà bien haute.

Ma boîte mail déborde depuis que je suis devenu prof principal de cette classe de troisièmes, et tous ne parlent que d'un élève : Zachary Grant.

Pas glorieux, son parcours depuis le début de l'année. Et pourtant nous ne sommes que mi-octobre.

- T'as essayé de contacter les parents ? s'enquiert-elle en s'appuyant nerveusement contre une table.

Je hoche mollement la tête :

- Ouaip. Tous les soirs j'essaie d'appeler le père, c'est le seul membre de sa famille dont on a pu avoir le numéro. Evidemment, ça ne répond jamais. Je connais même le message de son répondeur par cœur, c'est dire...

- C'est un souci...

- M'en parle pas, je grimace. Le gosse est à deux doigts du conseil de discipline et le vieux s'en branle complet. Je suis censé faire quoi, moi ?! Je suis prof, pas psy ni assistant social.

Lucy ne s'offusque pas de ma vulgarité, déjà habituée à force de me côtoyer quotidiennement. À quoi bon mâcher mes mots, il faut dire les thermes une bonne fois pour toutes.

- Honnêtement ... ça serait plus facile pour nous s'il était renvoyé du collège. La situation est devenue invivable.

Je fronce les sourcils sans pouvoir m'en empêcher. Vient-elle vraiment de dire « plus facile » ?!

Je scrute son visage constellé de taches de rousseur avec plus d'attention et ce que j'y découvre me peine plus que je n'ose l'avouer. Elle renonce.

De toute l'équipe pédagogique, c'était ma dernière alliée. C'est ma première année dans cet établissement et les relations avec mes collègues ne sont pas toujours faciles, surtout quand on n'a pas la même manière de voir les choses.

- Lucy, je ne vais pas abandonner ce gosse à son sort. Ok, c'est loin d'être un ange, mais moralement, je ne peux pas le laisser tomber. Il a quoi ... quinze ans à tout casser, il a la vie devant lui. Ce serait dommage qu'il foute tout en l'air maintenant.

- Mais Will, il a déjà tout foutu en l'air ! C'est qu'une question de temps avant qu'on le foute dehors.

Je sers les dents en détournant le regard. Au fond de moi, je sais qu'elle a raison. De ce que j'en sais, il n'était pas aussi terrible l'année dernière. Ses bulletins étaient juste corrects, mais aucun incident n'est mentionné. Je ne sais pas ce qui a changé en septembre, mais il y a certainement une explication. Le souci c'est qu'il a déjà été averti plus que de raison et rien de ce que j'ai pu lui dire jusqu'à présent n'a pu lui faire changer de comportement. Je peux, sans prétention, affirmer que j'ai fait tout mon possible pour le sauver de lui même, en vain.

- Je ne baisserai pas les bras, j'affirme tout de même en plantant mon regard dans celui de la mathématicienne.

- Je m'en doutais. Bon courage.

Sans rien répondre, je suis sa silhouette des yeux alors qu'elle quitte ma salle, bien plus calmement que lorsqu'elle y est entrée.

Un énième soupir quitte mes lèvres alors que ma tête s'échoue sur mes bras croisés. Un début de migraine m'assaille lorsque je pense à ce qui m'attend.

Ça ne va pas être de la tarte.

CollisionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant