CHAPITRE 10

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WILLIAM

La douche froide ne parvient même pas à me réveiller convenablement. Je laisse l'eau couler sur mon visage mais c'est peine perdue. La journée va être beaucoup trop longue. Si tant est que j'arrive au bout sans quitter le navire avant.

Luke est parti frais comme un gardon ce matin et Max a appelé le commissariat en disant qu'il était malade : une gastro fulgurante. J'aimerais faire la même chose, mais j'ai des obligations. Enfin, j'espère en avoir encore.

Lorsque je sors de la douche, le reflet que j'ai face à moi me ferait presque peur. Entre mes cernes de trois kilomètres, ma peau blanche comme un cul et mes yeux vitreux, j'ai l'air d'un cadavre tout droit sorti de la morgue.

— Bah alors, t'assumes pas ? me nargue Max, les doigts de pieds en éventail sur le canapé.

Je le foudroie du regard en rétorquant, d'une voix hautaine :

— Tout le monde n'a pas le luxe de décuver toute la journée, ducon. Et au cas où t'aurais pas remarqué, on commence à se faire vieux, nous aussi.

Y a quelques années de ça, on sortait tous les weekends avec les gars pour se mettre la tête à l'envers, mais on n'avait jamais été de telles loques au réveil. Quand mon père me disait de profiter de ma jeunesse, il ne m'avait pas menti. A quand l'arthrose et les lumbagos ?

Arrivé devant le collège, je prends deux minutes pour respirer dans ma voiture avant de rejoindre ma classe. Le soleil du Texas m'est très utile aujourd'hui : je peux porter mes lunettes de soleil sans qu'on me pose trop de questions.

J'avais prévu un atelier gravure avec mes élèves, mais je pense leur sortir des coloriages magiques, normalement ils me laisseront tranquille.

La stratégie est plutôt efficace, ma première classe s'est divertie toute seule pendant que je luttais pour ne pas m'endormir sur mon bureau. Pour la deuxième, c'était plus compliqué, j'ai dû jouer la police entre deux gangs de sales gosses. Un peu plus et j'aurais distribué des patates.

Je me décide enfin à ouvrir ma boite mail, dans la peur de découvrir une convocation dans le bureau de la principale, mais rien. Rien de rien, le néant. Je ne comprends pas. Non pas que ça ne me fasse pas plaisir. Est-ce que Grant est du genre à jouer avec sa proie avant de la dévorer ? Il ne profèrerait quand même pas des menaces en l'air ?!

A la pause, je n'ai pas la foi, ni l'énergie, de retrouver mes collègues en salle des profs, alors je surfe quelques instants sur mon téléphone. Je balaye une ou deux pubs d'un mouvement de pouce et soudainement, je me fige.

Dites moi pas que j'ai fait ça.

Je relis l'email que j'ai envoyé la veille et dont je n'ai aucun souvenir. Les fautes me brûlent les rétines, mais ce n'est rien à côté de l'humiliation qui m'assaille.

Qu'est-ce qui ne tourne pas rond chez moi, bordel ?!

Je n'ai pas le temps de m'appesantir sur mon desespoir, que la porte de ma salle s'ouvre à la volée sur ma collègue Lucy. J'ai comme un air de déjà vu.

— T'as vu Zachary ? s'enquiert-elle, le souffle court.

— Bah... Non ? Je n'ai pas cours avec les 3eB aujourd'hui.

— Il n'est pas en cours, de toute manière. Enfin, disons plutôt qu'il n'y est plus ...

— Quoi ?

Mes neurones mal connectés peinent à assembler toutes les pièces du puzzle.

— J'avais cours avec eux, mais Zachary a pété une durite et a pris la porte. Impossible de lui mettre la main dessus.

Décidément, ce n'est pas ma journée.

— Vous avez essayé de l'appeler ? Ce gosse ne quitte jamais bien longtemps son téléphone de toute manière.

— Il est coupé, ça ne sonne même pas.

Je fronce les sourcils en comprenant petit à petit la gravité de la situation. Lucy fait volte face pour retrouver la principale et sans trop réfléchir, je me mets à la suivre :

— Ah, monsieur Collins ! Vous tombez bien ! s'exclame Madame Brown, la voix teintée de soulagement.

Elle ne va quand même pas me renvoyer alors que le gamin a disparu ...

— Je peux vous aider ? On m'a dit que Zachary avait fugué du cours de maths.

— Une vraie catastrophe ! Si on ne le retrouve pas avant que l'histoire ne s'ébruite, on est foutus !

Je rassure la directrice comme je peux, puis elle semble se reprendre :

— Je me charge de contacter la police, je vous laisse vous occuper des parents de Zachary ?

J'acquiesce en avalant difficilement ma salive. Je risque de me prendre un sacré retour de karma.

Je prends alors mon courage à deux mains et appelle son père après quelques secondes d'hésitation. L'appel sonne dans le vide et je recommence jusqu'à l'avoir en ligne. 

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