Chapitre 35

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Lorsque je repris connaissance, une douleur sourde irradiait dans tout mon corps, chaque respiration me coûtant un effort immense. Ma tête était lourde, et mes membres semblaient faits de plomb. Je pouvais à peine bouger, j'avais l'impression de faire un retour à la case départ.

J'ouvris les yeux avec difficulté, clignant plusieurs fois pour chasser l'obscurité qui embrumait ma vision. Le plafond richement décoré au-dessus de moi et à présent devenu familier, allongée sur le grand lit aux draps soyeux. Une chandelle vacillait doucement sur la table de chevet, projetant des ombres tremblantes dans la pièce.

Mon cœur s'emballa soudain en voyant le prince assis près du lit, une main crispée sur l'accoudoir de sa chaise. Il ne me regardait pas directement, mais ses yeux étaient fixés sur le sol, l'air perdu dans ses pensées. Sa mâchoire était serrée, comme s'il luttait intérieurement contre quelque chose qu'il ne parvenait pas à maîtriser.

Sentant mon regard, il tourna lentement la tête vers moi. Ses yeux s'adoucirent un instant, mais ce fut une lueur furtive, aussitôt masquée par son habituel masque d'impassibilité.

« Vous êtes réveillée, » dit-il d'une voix grave. Il y avait un mélange de soulagement et de reproche dans son ton, mais c'était sa fatigue apparente qui me troubla le plus. Il semblait avoir veillé sur moi pendant un long moment.

Je tentai de répondre, mais mes lèvres étaient sèches, et aucun son ne sortit. Le prince se leva immédiatement, s'approcha du lit et versa de l'eau dans un gobelet en argent. Il s'agenouilla à mes côtés, glissant un bras sous ma nuque pour m'aider à boire. Le contact de sa main contre ma peau me fit frissonner, une chaleur inattendue se propageant à travers mon corps meurtri.

L'eau était fraîche, apaisante, mais c'était ce simple geste de tendresse qui me bouleversa. Ce prince, si implacable et froid, se montrait soudain prévenant, presque attentionné. Mais je ne pouvais pas me permettre de me laisser séduire par cette façade. Pas cette fois car ce même geste, il l'avait eu quelque jours en arrière quand je m'étais réveillée après cette fameuse nuit glaciale. Les mêmes gestes de sa part une sorte de flashback qui me tortura.

Après m'avoir fait boire, il me déposa doucement sur l'oreiller. Sa main resta un instant en suspens, comme s'il hésitait à me lâcher. Mais finalement, il se redressa et reprit sa place sur la chaise.

Je pris une profonde inspiration, rassemblant mes forces pour lui poser la question qui me hantait depuis que je m'étais évanouie.

« Pourquoi le docteur Valmont ne travaille-t-il plus ici ? »

Le prince fronça légèrement les sourcils, un éclat de dureté passant dans son regard. « Parce qu'il a été transféré. Je ne tolère pas que mon personnel se laisse distraire. »

Je sentis la colère monter en moi, mais je la réprimai du mieux que je pouvais. « Distraire ? C'est ça que vous pensez ? Que je suis une distraction ? »

Il me fixa longuement, puis se leva brusquement, s'éloignant du lit comme s'il devait mettre une distance entre nous. « Je ne reviens jamais sur mes décisions, Haydé. Le docteur Moreau prendra soin de vous à partir de maintenant. »

Je secouai faiblement la tête. « Je ne veux pas du docteur Moreau. Je veux le docteur Valmont. »

Le prince se figea, puis se tourna lentement vers moi. Son regard était devenu glacial, mais il y avait autre chose, une douleur sourde qu'il essayait de dissimuler. « Je fais ce qui est nécessaire pour votre sécurité. Vous ne comprenez pas encore à quel point tout cela vous dépasse. »

Je tentai de me redresser, mais mon corps protesta violemment alors cette fois-ci je n'insistai pas. « Je ne comprends pas pourquoi vous refusez d'écouter ce que je veux, » murmurai-je, la voix brisée par l'épuisement et la frustration. « Pourquoi vous entêtez-vous à tout contrôler, même quand ça me fait souffrir ? »

Il ne répondit pas, se contentant de me regarder avec une intensité qui me fit frissonner. Puis, sans un mot, il se détourna et quitta la pièce, me laissant seule avec mes pensées tumultueuses.

Les heures passèrent dans un silence pesant, uniquement troublé par les bruits étouffés du couloir. Chaque minute semblait s'étirer à l'infini, rendant mon attente insupportable. Je me sentais emprisonnée dans ce lit, impuissante, à la merci des décisions du prince. Malgré ma faiblesse, une rage sourde grondait en moi. Pourquoi refusait-il de m'écouter ? Pourquoi se montrait-il aussi obstiné et cruel ?

Mon esprit ne cessait de revenir à notre dernière conversation. Ce moment où il s'était approché de moi, si près que j'avais senti son souffle sur ma peau, m'avait déstabilisée bien plus que je ne voulais l'admettre. Cette proximité, cette tension entre nous... et pourtant, il avait tout brisé avec son entêtement à vouloir contrôler chaque aspect de ma vie, jusqu'à m'imposer un nouveau médecin.

Le docteur Moreau était entré quelques heures après le départ du prince. Sa présence m'avait mise mal à l'aise dès le début. Il était plus âgé que Valmont, plus formel, et son regard perçant semblait sonder chaque parcelle de mon être, sans pour autant exprimer la moindre bienveillance. Malgré ses gestes précis et professionnels, il n'avait pas la douceur ni la chaleur rassurante de son prédécesseur.

Alors que Moreau vérifiait mes constantes, je ne pouvais m'empêcher de comparer chacun de ses gestes à ceux de Valmont. Le prince avait tort. Ce n'était pas qu'une question de compétence. Valmont avait pris soin de moi, m'avait parlé, m'avait donné l'impression que j'étais plus qu'une patiente. Il s'était montré humain, et c'était ce lien que je regrettais.

Après son départ, je m'enfonçai dans les oreillers, submergée par un mélange de colère et de désespoir. Chaque tentative de me redresser se soldait par un échec, la douleur et la faiblesse rendant mes mouvements laborieux. Mais je refusais de rester passive. Si le prince pensait qu'il pouvait me réduire au silence, il se trompait.

Le soir tomba, et la pénombre envahit la pièce. Je fixais le plafond, réfléchissant à ce que je pouvais faire pour reprendre le contrôle de ma vie, ou du moins de ce qui me restait de dignité. Je ne pouvais plus rester dans cet état de soumission forcée. Si je devais me battre pour ce que je voulais, je le ferais, même si cela signifiait affronter le prince lui-même.

Perdue dans mes pensées, je n'entendis pas immédiatement les pas approcher de ma porte. Ce ne fut que lorsqu'elle s'ouvrit doucement que je tournai la tête, surprise. Le prince se tenait là, dans l'embrasure, son visage à moitié dissimulé par l'ombre. Il semblait hésiter, comme s'il se demandait s'il devait entrer ou non. Mais finalement, il franchit le seuil et s'approcha lentement de mon lit.

« Vous êtes encore éveillée, » dit-il doucement, son ton bien différent de celui qu'il avait utilisé plus tôt.

Je ne répondis pas, me contentant de le regarder. La colère que j'éprouvais n'avait pas diminué, mais elle était mêlée à autre chose, une étrange curiosité. Que voulait-il cette fois ?

Il s'arrêta à quelques pas du lit, gardant une distance respectable. « Je vois que le docteur Moreau a pris soin de vous. Comment vous sentez-vous ? »

« Comme une prisonnière, » répliquai-je, incapable de cacher l'amertume dans ma voix.

Un éclair de regret passa dans ses yeux, mais il le dissimula rapidement. « Je sais que vous êtes en colère contre moi, Haydé. Et je comprends pourquoi. Mais croyez-moi, ce que je fais, je le fais pour vous protéger. »

« Protéger de quoi, exactement ? » lançai-je, le défiant du regard. « De Valmont ? De moi-même ? Ou est-ce simplement une excuse pour justifier votre besoin de tout contrôler ? »

Il serra les poings, mais sa voix resta calme. « Il y a des choses que vous ne comprenez pas encore. Des dangers dont vous n'avez pas conscience. Le docteur Valmont ne reviendra pas, et c'est ainsi. Vous devez l'accepter. »

Je ne répondis pas, déglutissant avec difficulté pour ravaler les larmes qui menaçaient de couler. Je n'étais pas sûre de pouvoir supporter davantage de cette condescendance.

Voyant que je restais silencieuse, le prince soupira et se détourna, comme pour partir. Mais juste avant de franchir la porte, il s'arrêta net, le dos toujours tourné vers moi.

« Vous n'êtes pas une prisonnière, Haydé, » dit-il d'une voix à peine audible. « Vous êtes bien plus que cela. Mais je ne peux pas vous laisser tout gâcher. Pas quand... »

Il ne termina pas sa phrase, laissant ses mots en suspens, puis quitta la pièce, refermant la porte derrière lui.

Entre Ombre et CouronneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant