Déflagration amoureuse

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Le souvenir en italique est raconté du point de vue du personnage masculin. 

Je le regarde avec un air affolé sur le visage. L'arme toujours bien en main, il m'ordonne silencieusement de la braquer plus en avant.

Les pas se rapprochent faisant palpiter mon coeur de plus en plus vite. Au loin une fusillade éclate masquant pour un temps l'avancée de l'ennemi. Je retiens mon souffle tout en tournant légèrement la tête vers lui.

Son regard n'exprime aucune émotion, il reste calme. Ses mains sur son arme ne tremblent pas non plus. Il semble respirer un peu plus vite que d'habitude et ses muscles sont tendus par l'adrénaline mais il n'est pas paralysé par la peur. Pas comme moi.

J'aimerais lui prendre la main et la serrer de toutes mes forces jusqu'à ce que cette fichue guerre se termine mais il est trop tard.

Le canon d'une mitrailleuse nous tient en joue dans l'angle de la petite église où nous nous sommes réfugiés à peine une heure plus tôt.

Il n'hésite pas une seconde. Son arme déjà prête à faire feu il tire dès qu'il aperçoit un bout de peau humaine derrière le canon. Des cris résonnent à en faire trembler l'écho de la vaste salle vide.

Tout ce qui s'ensuit après se passe très vite. Il se montre à l'angle où les allemands nous attendent de pied ferme et tire quelques soldats. Des coups de feu résonnent de l'autre côté mais il revient coller son dos contre le mur à coté de moi.

Je l'observe. Cette fois il a le souffle court, les pupilles dilatées mais il ne s'immobilise pas pour autant. Il me fait signe de la tête pour m'indiquer d'exécuter notre plan et je sens mes jambes défaillir sous mon poids.

Je tiens bon et hoche ma tête tremblante. Je reste collée au mur tout en commençant à m'écarter de lui. L'oreille aux aguets, je peux distinguer des chuchotements de l'autre côté du mur.

Je continue de contourner le haut promontoire derrière lequel nous sommes cachés et je m'arrête dès que j'aperçois du coin de l'oeil l'uniforme ennemi.

Je sais qu'ils m'attendent au tournant. C'est pourquoi j'attends qu'il fasse diversion pour pouvoir me glisser derrière l'autel près de la sortie. Qu'est-ce qui m'attend dehors ensuite, je n'en ai pas la moindre idée. Mais il tenait à me laisser une chance de m'en sortir.

Je n'ai même pas eu le réflexe de me demander qui aller l'aider, lui, à s'en sortir.

Je contiens un sanglot et je repense à cette conversation que nous avons partager tous les deux à l'hôpital. J'étais infirmière et lui patient. Comment la situation a-t-elle pu dérivée à ce point ?

Les coups de feu résonnent près de moi et je me retiens de plaquer mes mains contre mes oreilles. C'est la seule chance que j'ai de sortir d'ici.

En l'abandonnant. 

Je ne réfléchis pas. Je ne me laisse pas le temps d'hésiter et de laisser agir ma bonne conscience. Je jette un œil par dessus mon épaule, constate que les soldats sont occupés avec lui, et je me précipite en faisant le moins de bruit possible jusqu'à l'autel.

Là, je m'autorise à souffler un peu, puis toujours aux aguets, j'observe ce qu'il se passe derrière moi. Les coups de feu se sont tus et c'est avec soulagement que je m'aperçois qu'il est toujours en vie. Mais mon ressenti est rapidement écarté par la culpabilité qui me noue l'estomac. Je sais qu'à un moment ou un autre il ne pourra plus les retenir.

A cette pensée les larmes coulent à flot sur mon visage. Je le connais, il n'attendra pas que les allemands lui tirent dessus, il est bien trop fier, et il ne prendra pas le risque d'être fait prisonnier.

Je repense à la conversation que nous avons eu tous les deux ce jour-là : 

- Pourquoi est-ce que tu as essayé de mourir ?

Elle me regarde avec ses beaux yeux azurs, me contemple comme on contemplerait une étoile déchue, une étoile qui a perdue sa lumière mais qui continue de briller encore un peu.

- Je ne veux pas mourir. Je ne veux pas vivre. Je ne veux tout simplement plus rien.

Tout est comme si c'était vide à l'intérieur désormais. Il n'y a plus de bon ou de mauvais, de volonté ou de désir... Plus rien. Plus rien d'autre que le chaos, les ténèbres et le vide.

- Et moi... est-ce qu'avec moi tu pourrais vivre à nouveau ?

C'est à mon tour de la dévisager. Je tourne un regard attendri vers elle tandis qu'elle se mord la lèvre inférieure d'un geste nerveux.

- Je pourrais mourir pour toi.

Elle sourit sincèrement, attrape mon menton rugueux de ces doigts doux et approche ses lèvres des miennes.

- Mais vivre ? Est-ce que tu pourrais vivre pour moi ?

Sa question n'a plus rien de timide ou d'innocent. Je sens dans ses paroles des sentiments trop longtemps contenus qui explosent au grand jour. Une explosion de rancoeur et de douceur à l'état pur.

Une déflagration d'amour.

Elle a pressé la détente pour tenter de me sauver je pense alors. 

- Disons que pour toi j'essaierais de continuer à survivre.

- Et un jour je t'apprendrai à vivre à nouveau.

- Et un jour je serai condamné pour t'avoir aimé.

Sur ces mots je l'embrasse sans retenue et plaque mes lèvres contre les siennes. Une larme glisse le long de ma joue, vient se nicher à la courbure de mes lèvres et elle la balaye d'un coup de langue rigoureux.

Aujourd'hui je suis incapable de lui rendre l'amour qu'elle me donne. Parce que je ne suis tout simplement plus là. Parce que je suis mort à l'intérieur.

Mais un jour... Un jour j'ouvrirai mon coeur en deux pour lui montrer. Pour lui montrer que sa vie et ma mort resteront gravés à jamais dans le sang de notre amour meurtrier.

Et de loin, je préfère la douleur d'un coeur à l'air libre que de rester les pieds sur terre sans elle.

J'ai le temps d'atteindre la lourde porte en vitesse et de m'assurer que personne ne m'attend à la sortie puis j'entends une détonation.

Je suis projetée en avant par l'explosion et me couvre le crâne de mes avant bras. Tout en restant par terre, j'avance sur les coudes pour m'éloigner.  

Lorsque je suis suffisamment à l'écart, je me retourne pour observer l'immense colonne de flammes qui se dessine à travers les murs en pierre blanches de la petite église.

Je ne retiens plus mes larmes. Les sanglots me bloquent la gorge et mon corps est secoué de spasmes. 

En réalité je savais que ce jour arriverait il y a bien longtemps. Egoïstement j'ai fait comme si ce n'était qu'une peur parmi tant d'autres, infondée.

Je n'ai presque pas protesté quand il m'a expliqué comment il allait me sortir de cette église. Au fond de moi je savais que son ton implacable ne laissait la place à aucune protestation. Je savais depuis le jour de cette conversation que nous avions eu que je ne le garderais plus très longtemps parmi les vivants. Je savais ce que la guerre avait fait à cet homme avant même d'avoir commencé à l'aimer. 

Et en repensant à cette conversation je me rends compte que tout s'est passé exactement comme il l'avait prédit. Il a su survivre assez longtemps pour me sauver. Et finalement, c'est son amour pour moi qui l'aura condamné. 

Il aura finalement ouvert son coeur pour ne pas subir la torture de rester loin. 

Les rêves ne meurent jamaisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant